Des Mondes aquatiques #2
FRAC Aquitaine, Bordeaux, 19.06 — 5.11.2017
Drôle de figure que celle du pêcheur, peu évoquée dans l’art, ou alors par le biais de son retour à terre et des poissons qu’il a amassés plutôt que par son activité elle-même, surtout si on le compare à son corollaire, le chasseur, souvent représenté en héros, mâle dominant, dans le feu de l’action. À ce titre, le pêcheur est presque une figure minoritaire, discrète, anonyme ; on ne le pense qu’au sein de son environnement aquatique tant on l’imagine contemplatif. D’où la raison pour laquelle la pêche est un point de départ très intrigant pour une exposition d’art contemporain. En effet, après « Des Mondes aquatiques #1 », au Centre international d’art et du paysage de Vassivière ce printemps, qui traitait du rapport de l’homme au milieu aquatique dans des contextes variés, le FRAC Aquitaine a fait le choix de se concentrer sur ce sujet, en explorant l’idée que la pêche concerne l’art contemporain et inversement. Bien sûr, la thématique est intimement liée à la géographie bordelaise, le FRAC lui-même étant situé au bord d’un bassin de mise à flot non loin de la Garonne[1], mais sans rester prisonnière de problématiques localistes. On trouvera donc rassemblées dans l’exposition des œuvres parlant de la Gironde, du Sud-Ouest, parfois même réalisées par des artistes bordelais, des œuvres qui tournent autour de la singularité de la figure du pêcheur et suggèrent de repenser le rapport à l’art sur son modèle.
Comme pour poser pleinement le sujet, sur l’un des premiers murs, quelques photographies de Maitetxu Etcheverria donnent à voir des îles de l’estuaire de la Gironde, certaines abandonnées, d’autres cultivées (viticoles, évidemment). Dominées par la couleur sablonneuse de l’eau et de la verdure qui en émerge, ces images permettent d’imaginer la vie dans ce biotope si particulier où s’enlisent les bateaux de pêche, tout en soulignant la beauté mélancolique des paysages façonnés par les mouvements de l’eau. La pêche incarne ici un certain rapport esthétique à la nature. En contrepoint, en face, c’est plutôt l’ingéniosité du pêcheur-bricoleur qui est mise en avant avec la vidéo Fish Spin-drying Device (2013) de Shimabuku qui suit le mouvement, digne d’un manège de fête foraine, d’un système de séchage de poisson artisanal fait de roues de bicyclettes.
Toujours dans un rapport étroit au lieu, quoique d’une manière différente puisque l’œuvre est produite pour l’exposition, l’ensemble d’aquarelles avec stylo et feutre sur papier d’Anne Colomes, Une planche fendue au milieu en légère forme de cacahouète, compose un grand panneau, installé devant une fenêtre. Ainsi rendues diaphanes par l’éclairage du jour, ses couleurs déjà noyées dans les lavis allant du bleu clair au noir forment une interface entre le FRAC et le bassin à l’extérieur et invitent à penser la contemplation esthétique d’une œuvre sur le modèle de la contemplation de l’eau.
Au fond est projeté un film qui lui aussi a trait à la fascination qu’exerce l’eau, voire à son potentiel onirique. Tourné en grande partie sur le Lot qui offre un décor verdoyant, La barque silencieuse (2015) de Julie Chaffort alterne des scènes où la navigation est propice à la rêverie et à la méditation, avec d’autres plus burlesques, comme des scènes de flamenco sur l’eau ou de boxe d’un personnage en costume rose pâle avec un vieux chanteur sur la rive. Mais dans tous les cas, les situations s’accompagnent de fragments musicaux, allant de l’opéra à des airs de cornemuse et de soubassophone. En somme, tout un monde doucement absurde sort du silence de l’eau. L’œuvre prend appui sur le paysage local pour s’échapper dans l’ailleurs de la poésie.
Enfin, d’autres pièces viennent ébranler l’exposition comme le ferait un grand éclat de rire : tout particulièrement la sculpture intitulée Tombeau pour Hérault de Séchelles (1982) de Présence Panchounette, éminents représentants de l’art bordelais. Composée d’une canne à pêche au bout de laquelle est accroché un lustre classique à pampilles, l’œuvre aurait pu fonctionner comme une allégorie savante, son titre pompeux évoquant en effet l’époque de la Révolution française. Mais le rapprochement on ne peut plus trivial entre le lustre et le siècle des Lumières coupe court à ce genre d’interprétation, faisant de la pêche cette activité hasardeuse de dessins animés où l’on attrape des chaussures à la place des poissons (ici, tout de même, le butin est meilleur). Derrière cette canne à pêche qui occupe décidément un grand espace, une Sea Painting de Jessica Warboys de 2011, réalisée en trempant des toiles dans la mer, devient un fond de scène tout à fait à la hauteur de l’événement. Dans le même esprit, on rencontre aussi la Turlutte japonaise (2008) de Vincent Carlier, qui reproduit en très grand un leurre utilisé par les pêcheurs nippons pour attraper les calamars : avec cette sculpture, on rêve d’attraper des calamars géants, même dans la Garonne, le Lot ou la Gironde. On ne peut que souhaiter qu’avec cette exposition, les pêcheurs s’intéressent à l’art contemporain et les amateurs d’art à la pêche.
1 Cette exposition est d’ailleurs la dernière dans ces locaux, avant un déménagement du Frac dans le nouveau quartier de la Gare Saint-Jean.
Image en une : Anne Colomes, Une planche fendue au milieu en légère forme de cacahuète, 2017, production Frac Aquitaine, © Anne Colomes. Photo : Jean-Christophe Garcia.
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- Du même auteur : Wael Shawky - Dry culture Wet culture, Defiant Muses, Un énoncé surpris par hasard, Lytle Shaw, Pierre Ardouvin, Nathaniel Mellors,
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