Entretien avec Vincent Lamouroux
Pour le dire simplement, Projection est un ancien motel situé sur Sunset Boulevard, à Los Angeles, que vous avez recouvert de chaux blanche. Ce bâtiment, dont la destruction est prévue dans quelque mois, se présente comme un espace fantomatique et fantasmagorique au cœur de cette célèbre avenue, également très cinématographique. Quelle est la genèse de cette pièce ?
Il y a environ douze ans, j’ai découvert ce motel abandonné, désaffecté, qui m’a tout de suite séduit par la simplicité de son dessin, son échelle et l’ensemble des éléments qui le composaient : le signe « Sunset Pacific Motel », son panneau publicitaire en surplomb et ses quatre grands palmiers environnants. Ils étaient un peu les totems de cette architecture pensée dans une forte relation à la mobilité (le « motel » étant la contraction de « motor » et « hotel »). Ces signes évoquaient également autre chose qu’eux-mêmes : le rêve californien, la mobilité constante de la société contemporaine. J’ai donc conservé ce motel comme un possible projet dans un coin de ma tête puis, en 2012, suite à l’invitation d’une galerie, j’ai fait cette proposition de travailler hors les murs et de recouvrir intégralement ce site avec de la chaux blanche, un matériaux ancestral et naturel, qui gagne en intensité sous le soleil tout en estompant les détails d’un édifice et de son environnement immédiat pour ne livrer qu’une lecture générique de l’ensemble. Je voulais effacer la discontinuité des différents corps matériels, les rendre contigus les uns aux autres, unifier les surfaces et relier leurs arêtes, pour faire surgir une forme abstraite capable de capter le regard et de le soutenir dans la durée. Je voulais produire une forme claire et simplifiée, marquée par son passé et son futur, un « état présent » qui signale que celui-ci ne l’est pas complètement.
Projection a été donc été inaugurée le 26 avril…
Oui, révélant soudainement et temporairement un site cristallisé et figé dans son mouvement, dans sa course entropique. Je mets souvent en jeu le corps du spectateur et une possible interaction avec le travail. Ici, j’ai immédiatement pensé une pièce qui ne serait visible que depuis l’extérieur et à l’intérieur de laquelle on n’accèderait pas. L’idée était de produire un déséquilibre entre un désir et sa réalisation, une légère frustration qui accroît l’envie et l’intensité de l’image produite. Une distance et une attente qui, du coup, génèrent une forme renouvelée de l’attention. Quelques semaines encore avant de le faire, je n’étais pas certain d’être autorisé à recouvrir les palmiers ou le panneau d’affichage, or de cette alchimie seule résultait le succès. Si, aujourd’hui, le bâtiment est en train de se dégrader lentement, j’ai tenu à maintenir, durant deux semaines, la pièce dans son blanc immaculé, puis j’y ai intégré cette détérioration, son effacement, que je peux d’ailleurs suivre à distance, sur Instagram
En effet, l’idée était que le public s’en empare, mais cela est-il allé au-delà de vos attentes avec plus de 4700 hashtags à votre nom et quantité de photographies de spectateurs venant réellement poser devant cette Projection ?
Je pense que plusieurs éléments étaient réunis. Situé sur le boulevard le plus iconique de Los Angeles, ce motel était également un lieu mythique pour beaucoup de gens. À la visibilité du site, Projection conjugue artifice et recherche d’épure, une manière de rompre avec la saturation visuelle, informative et publicitaire si présente sur Sunset Boulevard. Il est ici question d’images et des attentes que nous nourrissons envers elles, ou de la manière dont on opère une sélection dans une telle prolifération ? Le titre Projection renvoie aussi bien à la méthode d’application de la chaux qu’aux représentations mentales que suscite l’image produite. C’est un gigantesque écran de cinéma : toutes les surfaces du bâtiment deviennent les espaces de projections de nos désirs, entraînant une vraie pluralité de réactions, de possibilités pour s’y mettre en scène, y faire son cinéma, jusqu’à venir avec un déguisement ou y organiser des shootings de mode, etc…
Mais l’intérieur du bâtiment a fait l’objet d’un film que vous êtes, par ailleurs, en train de monter…
Impénétrable, le bâtiment préserve son indétermination qui nourrit curiosité et imagination, mais cela accentue aussi le désir d’y découvrir le patio donnant accès aux étages et aux chambres. Ya-t-il encore de la couleur, du papier-peint, du mobilier ? L’un des derniers jeux sur Instagram est d’ailleurs de raconter, brièvement, quel en est l’accès, avant que la moindre ouverture ou brèche ne soit réparée sur place. Je concentre le film sur la part de mystère du motel et ce qui n’est pas révélé de l’intérieur. C’est-à-dire que tout ce que j’envisageais comme pouvant être de l’ordre de la sculpture est renvoyé à l’état d’image mentale. Aujourd’hui, lorsqu’on réalise une sculpture, elle est d’abord et très vite appréhendée comme image et de moins en moins liée à un déplacement, un rapport au temps, ou une physicalité… Je réalise presque un film d’architecture qui ne montrerait jamais l’extérieur de l’édifice, déjà maintes et maintes fois vu ou diffusé. D’ailleurs, dans Projection, demeure l’idée de faire tout à la fois apparaître et disparaître cette architecture. J’aime à penser qu’elle pourrait et qu’elle va s’évanouir comme un mirage ou des nuages, que je montre aussi pas mal en filmant le ciel.
Ce qui nous mène à un autre de vos projets, celui de « sculptures dans l’espace », c’est-à-dire des figures géométriques qui vont être réalisées en avion, au mois de septembre, dans le ciel de Los Angeles, et qui poursuit cette réflexion du rapport entretenu par le corps avec la sculpture…
L’importance accordée à l’image aujourd’hui nous éloigne d’une expérience de la sculpture ou de l’architecture directement liée au corps. Ce qui m’intéresse le plus est donc cette sensation ou relation d’espace et de temps qui, pour le coup, n’a pas d’image, même qui lui reste invisible et que je concrétise dans ce projet autour du vol en avion : envisager une architecture et ne la décrire ou faire exister qu’au travers de son déplacement. Je n’ai évidemment pas choisi l’avion par hasard car au cours du XXe siècle les développements aéronautiques ont modifié nos repères temporels et spatiaux, notre régime scopique, notre relation à la mobilité et tous les imaginaires qui y sont liés. La région de Los Angeles, comportant plus de vingt-quatre aéroports municipaux et militaires ainsi que trois aéroports internationaux, a engendré des espaces aériens invisibles pourtant bien réels, très intéressants dans leur complexité et leurs formes. Concrètement, je pars donc d’un plan de vol décrivant un déplacement, une partition ou une idéalité géométrique qui, dès lors qu’elle est réalisée à bord d’un avion, devient une forme irrégulière et périphérique au sein des espaces aériens contrôlés et réglementés. C’est une île céleste…
Projection, 2015, Chaux inerte projetée. Sunset pacific Motel, Silver Lake Neighborhood, Los Angeles.
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