F&M Quistrebert

par Elena Cardin

Ils composent leurs toiles à quatre mains comme ils pourraient le faire avec des morceaux de musique. Michaël et Florian Quistrebert, alias The Brothers of the Shadow du titre d’un des leurs solo show, ont souvent été comparés à un groupe de rock. Depuis leur résidence new-yorkaise en 2009, ils développent une pratique picturale abstraite, fruit d’un remixage de références artistiques hétérogènes, allant de l’Op art à l’abstraction lyrique, de la géométrie sacrée à l’art psychédélique. Irrévérente et décomplexée, leur approche de l’histoire de l’art relève du sampling musical, en jouant sur  une mise en abîme souvent exagérée et caricaturée de mouvements du passé. Après leur dernier solo show en France au CCC OD de Tours1, ils préparent une nouvelle exposition monographique intitulée Water Color Music qui ouvrira le 25 septembre prochain à 40mcube à Rennes. Au programme, une nouvelle série d’aquarelles monumentales inspirées de la tradition de la musique visuelle dont les Quistrebert s’amusent à subvertir les codes dans un souci toujours renouvelé de détourner leur sources d’inspiration pour en faire des outils de manipulation du regard.

On a souvent du mal à imaginer que la peinture puisse être faite à plusieurs mains. Cela dérive sans doute de l’idée romantique du génie qui est pourtant encore très agissante aujourd’hui. À quel moment avez-vous décidé de travailler ensemble et pourquoi ?

Vu de loin, cela peut paraître effectivement suspect. On travaille à deux parce qu’on a les mêmes envies et les mêmes parents. Du coup, on est assez directs dans ce qu’on fait, pas besoin de trop se parler car on est vite d’accord. C’est bien plus pratique à deux, et si cela crée de la confusion, c’est parfait.

F&M Quistrebert, Microcosmus,2019 ,acrylique sur 120 x 160 cm 2019  © Gert Jan van Rooij

Vous avez commencé votre travail pictural sous le signe de la figuration pour ensuite changer radicalement de direction lors d’une résidence à New York en 2009. Qu’est-ce qui vous a amenés à ce changement ?

La logique que l’on cherche ne se manifeste pas par les apparences. On tient à être libres formellement et à mener notre barque hors d’un système qui voudrait qu’un artiste se soumette à son art toute sa vie. Nous sommes plus cycliques que linéaires : nous travaillons par exemple deux ans sur une série de peintures géométriques, et puis on arrête pour passer à la truelle et au mortier, puis trois ans plus tard on reprend les travaux géométriques, mais différemment, avec en tête l’enseignement de cette période truelle-mortier. Ce qui compte, c’est de garder le même spirit, le même fantôme. Rien n’interdit qu’un jour on revienne avec des peintures figuratives et léchées comme pas permis.

Après avoir abandonné la figuration, vous avez aussi laissé de côté les matériaux classiques pour vous tourner vers des matériaux expressément « non beaux-arts », comme vous les définissez souvent. On dirait que l’usage de ces matériaux apporte un côté performatif à votre travail, tant pour vous au moment de la création (avec l’impossibilité de revenir en arrière) que pour le spectateur.

Oui, et si on pousse la logique, tout, absolument tout peut être performatif à notre époque, car l’attitude (de l’artiste, ou du spectateur) est une notion totalement intégrée par notre ère post-whatever. Dans notre cas, la vraie performance se situe au niveau de la mutation. Ceci dit, chaque projet ou chaque phase demande à se renouveler, à changer de logique, et à trouver de nouvelles choses à contredire. Le fait d’utiliser des matériaux grossiers comme le mortier ou la peinture de carrosserie vient contrarier une idée du sublime. Et c’est cet hétéroclisme un peu déréglé qui nous va. Certains projets demandent une précision zen et un calme digne de Master Itten, mais ce n’est pas de la performance. D’autres situations nécessitent d’étourdir notre public avec des vidéos écœurantes de symétrie, là non plus, ce n’est pas de la performance, c’est de l’expérience.


F&M Quistrebert, vue de l’exposition Tête de Mort, Upstream Gallery, Amsterdam, 2019 © Gert Jan van Rooij

La musique est une référence qui réapparaît sans cesse dans vos expositions et dans vos travaux. Malgré l’absence de son, l’analogie entre peinture et musique est souvent aussi suggérée par les titres que vous employez. Comment êtes vous arrivés à travailler sur cette analogie, de quelle façon s’articule-t-elle dans votre pratique ?

On nous compare souvent à un groupe de rock qui peint. La musique, c’est l’art abstrait par excellence et, pour des peintres rockeurs, c’est LA source d’inspiration.

On a toujours pensé en termes de composition, formellement, perceptuellement. Chaque expo, c’est comme un nouvel album… On compose l’espace avec le relief d’une pièce musicale, avec ses crescendos et ses moments plus calmes. Nos vidéos sont des silent symphonies dans la lignée des pionniers du genre (Hans Richter, Oskar Fischinger…) mais qui virent à la Body Music tant on pousse les curseurs à bloc.

L’interversion des médiums stimule en nous de nouveaux percepts, d’ailleurs notre prochaine exposition s’intitule Water Color Music.

On a tendance, souvent de manière trompeuse, à penser que la question du sujet, de « que peindre », est davantage pertinente dans le cas de la peinture figurative. Comment abordez-vous cette question ?

On veut peindre quelque chose aux confins du trop. Trop gros, trop sucré, trop clinquant, trop lourd, trop kitsch, trop op, trop zen, trop pauvre.… On part souvent d’ignobles références ringardes (comme l’Op art) parce c’est dépassé et que le dépassé, c’est laid, et que la laideur est inspirante. C’est un bon point de départ. Ensuite, on y apporte notre « trop » qui transporte le maudit modèle dans un état suprême où il n’est plus question de kitsch, où la référence initiale a complètement été absorbée par sa sur-représentation.

F&M Quistrebert, Champagne Supernova, 2020, acrylique sur toile de jute, 150 × 200 cm.

Pour terminer notre conversation, que pensez-vous de cette phrase de Steven Parreno : « Quand j’ai commencé à faire de la peinture, le mot d’ordre était “la peinture est morte”. J’y ai vu un endroit intéressant pour peindre… J’ai donc commencé à m’engager dans la nécrophilie… Abordant l’histoire de la même manière que le Dr Frankenstein aborde les parties du corps… » ? Est-ce que votre rapport au passé de la peinture naît d’une prise de conscience similaire ?

Oui, mais en beaucoup moins morbide. Comme on l’expliquait plus haut, notre peinture est faite d’emprunts plus ou moins douteux que l’on dénature, déforme ou défigure… Et c’est pour beaucoup de peintres comme ça depuis longtemps.

De plus, ce n’est pas la peinture qui est morte, c’est l’idée que la peinture soit morte qui est morte. On ne vit plus trop de nos jours sous ce genre de panurgisme, heureusement. Et d’ailleurs, que certains aient prétendu que la peinture était morte n’a jamais empêché les autres de peindre.

1 cf. https://www.zerodeux.fr/guests/les-freres-quistrebert%ef%bb%bf/

2 Steven Parrino, The No Textes, (1979-2003), Abaton Book Company, New York 2003, p. 43, cité par Bob Nickas in Painting Abstraction: New Elements in Abstract Painting, Phaidon Press, New York, 2009, p. 8.

Image en une : F&M Quistrebert, vue de l’exposition Tête de Mort, Upstream Gallery, Amsterdam, 2019 © Gert Jan van Rooij

Florian & Michael Quistrebert, Water Color Music, 40mcube, Rennes, 25.09 – 19.12.2020.


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