La fabrique du nous – Rituel.le.s
Institut d’Art Contemporain, Villeurbanne/Rhône-Alpes, 30.10.2020-21.03.2021
A Villeurbanne, « la fabrique du nous », projet commun à URDLA, centre d’art dédié à l’estampe contemporaine, l’IAC Institut d’art contemporain et leurs voisins1, aurait dû voir le jour au 1er novembre dernier. Appelée à se renouveler tous les deux ans, la manifestation invite à la création et à la rencontre à l’échelle du territoire, en faisant le pari de l’art comme vecteur de lien social. Mais voilà, le deuxième confinement ordonné le 30 octobre dernier par le gouvernement en accord avec les autorités sanitaires, en a décidé autrement. Le rebond du taux de transmission du coronavirus a mis un terme à l’exploration du quartier avant même qu’elle ne commence. La rencontre avec les habitants n’a, pour l’instant, pas eu lieu. Apprendre ensemble à construire du lien avec l’art en partage attendra la fin d’une pandémie qui condamne la culture plus que tout autre secteur. Cette première édition devait étendre les activités des deux institutions à la rue, empruntant aux espaces publics des grands ensembles qui les entourent, organisés à la manière d’un phalanstère. Les œuvres devaient ainsi permettre d’aller vers les publics. Car, dans ce projet à l’échelle locale, ce ne sont pas les populations qui doivent se rendre à l’institution mais bien l’institution qui va à leur rencontre. Présentée à URDLA, l’installation « Monument 600 DPI » de la vidéaste Maïté Marra, réunit plusieurs tableaux vivants exécutés à la lumière d’un scanner ouvert qui avance à la vitesse de 600 DPI. Au total, une soixantaine de films courts apparaissent de façon aléatoire sur l’écran de téléviseurs éparpillés dans une salle plongée dans l’obscurité. Le rapport de l’artiste à la mélancolie passe par l’obturation du regard. L’œuvre devait être accompagnée d’une exposition personnelle bien nommée « Durgence Lamour ». Injonction d’après confinement, elle interroge le rituel amoureux à travers un ensemble de gravures centrées autour de la figure de l’acteur américain des années cinquante Cary Grant.
Au diapason de l’ouverture de « la fabrique du nous » l’IAC présente l’exposition « RITUEL.LE.S » qui reprend l’idée de « aller vers ». Plus qu’une exposition exhaustive, c’est avant tout un projet de dimension sensible et de proximité qui traduit l’énergie qui l’a porté. Il est question du rituel, principalement collectif, c’est à dire d’un dispositif de relations entre les êtres dans un espace-temps qui permet de fabriquer du nous. On retrouve cette notion de rite dans le mouvement féministe. L’exposition puise ses racines dans l’écoféminisme, mouvement qui articule féminisme et combat pour l’environnement, engendrant un art de la transformation de soi et du monde, une émancipation collective.
Ainsi, la première salle réunit des œuvres nécessitant une activation par le corps. Le visiteur devient acteur de la « soupe » (2020), pièce performative de l’artiste coréenne installée en France Seulgi Lee. Prônant la dissolution du corps dans son environnement, elle cherche ici à retrouver la couleur du crépuscule lyonnais, ce qui détermine l’angle d’orientation sud-est que l’œuvre occupe dans l’espace. L’artiste travaille avec un chef de la « fabuleuse cantine » qui élabore des plats en utilisant les restes des supermarchés, démontrant que la cuisine créative peut aussi être anti gaspillage. La couleur du mur apparait comme absorbée lors de la performance. Seulgi Lee nous apprend comment fixer un moment. « Insulaire (avant l’orage) » (2016) d’Adélaïde Feriot est une pièce à deux temporalités. L’artiste capture, sur tissu, l’image d’un ciel juste avant l’orage, une capture plus visuelle que scientifique, dont le schéma déployé au sol constitue un champ de vision qui, dans un second usage, est aussi porté en cape.
La vidéaste Lola Gonzalez travaille avec le même groupe d’amis. Dans « Veridis Quo » (2016), elle les filme dans une maison au bord de la mer, occupés à des jeux étranges dans un entrainement quasi militaire, les yeux bandés. Ils se préparent à devenir aveugles, attendant la fin du monde. La notion d’attente, de fin, est présente dans plusieurs œuvres de l’exposition. C’est une notion fondamentale des rituels, à l’image des « Dos » (1978 – 1980) de la série « Altercation » de l’artiste polonaise Magdalena Abakanowicz, moulages de bustes humains réalisés en toile de jute, qui interrogent la place du corps dans sa relation au groupe, de l’individu dans la foule. Les communautés occupent une position centrale dans le travail de Bertille Bak. « O Quatrième » (2012) évoque la retraite de religieuses catholiques. Celles-ci habitent le quatrième étage du couvent. Réservé aux personnes en fin de vie, il correspond à une élévation spirituelle.
Une immense sculpture de forme circulaire de Maria Loboda évoque l’entrée des temples Shinto. L’artiste polonaise travaille sur l’interprétation et la réappropriation des rituels. « To Separate the Sacred from the Profane » (2016) invite le visiteur à performer la sculpture en la traversant d’une manière spécifique, selon le rituel déterminée par l’artiste. Sandra Lorenzi aborde la question sacrée de l’alchimie en créant des microcosmes à partir de son environnement. « Make it rain » (2018), tapis saupoudré de terre, permet de sentir l’humus, de le respirer.
Travail référencé, symbolique et minimaliste, « Qui vive ? » (2016) de Stéphanie Raimondi donne à voir une représentation abstraite de la reine des serpents – matérialisés par les bâtons –, à partir de l’image d’une déesse mère serpent figurée sur une petite gravure disposée sur le mur, à peine visible, traduisant là aussi une dramaturgie de l’attente.
Le travail d’Ana Mendieta est centré sur la relation terre / corps de femme. Arrachée à sa terre natale, Cuba2, elle construit une œuvre autour de l’enracinement, utilisant son propre corps dans une tentative de fusion permanente avec la nature. Dans la vidéo « Burial Pyramid » (1974), son corps émerge d’un monticule de pierres au rythme lent d’une respiration, suggérant la continuité entre l’élément minéral et la figure humaine, la seconde semblant se fondre dans la première. La vidéo « Earth Cycle Trance, led by Starhawk » (2019) de Suzanne Husky propose au spectateur une expérience méditative sur les cycles du vivant, performée par la prêtresse écoféministe Starhawk. Dans cette transe de l’énergie de la terre, entre chant et poésie parlée, elle offre une lente description du passage des saisons et de la régénération de la nature.
C’est dans l’immense toile en coton présentant 107 fentes, prévues donc pour contenir 107 personnes, que Lygia Pape, figure de l’avant-garde au Brésil et pionnière d’un art performatif lié aux questions sociales, réunit les enfants des favelas. « Divisor » (1968 et 2004) fonctionne dans la distanciation. La toile illustre peut-être le mieux cette volonté du « faire ensemble ». L’œuvre aurait du être activé le 30 octobre dernier. Elle le sera si l’exposition ouvre ses portes, comme un espoir pour l’avenir.
L’installation « Future Lithic Reduction » (2020) de Louise Hervé et Clovis Maillet réactive des objets très anciens, faits au départ pour être manipulés et qui ont été muséifiés par la culture occidentale, ici des objets du Grand Pressigny qui atteint un pic artistique à la fin du néolithique. Fondateurs en 2001 de l’IIII (International Institute for Important Items), le duo s’empare de la notion de transmission en en détournant les codes, mêlant l’humour à l’érudition.
« Un sentiment de nature » (2019), immense installation de Tiphaine Calmettes, vient clôturer l’exposition, à moins qu’elle ne l’ouvre tant la manifestation fonctionne comme une boucle, réunit à la façon d’un bas-relief des objets produits pas l’artiste dans d’autres contextes. Ils sont considérés comme des objets d’usage destinés à performer un repas. Au mur, un ensemble de moulages en béton, réalisé à partir de minéraux, végétaux et de morceaux de corps, s’inspire de l’art rustique et rocaille dont le parc des Buttes-Chaumont fait figure de parangon.
Les expositions « RITUEL.LE.S. » et « Durgence Lamour », comme la manifestation « La fabrique du nous », illustrent bien malgré elles l’état de la culture en France aujourd’hui, une culture interdite, qui est la seule à être privée de déconfinement, une culture assignée à domicile, à attendre, toujours un peu plus. Alors que le couvre-feu est, à la mi-janvier 2021, ramené à 18h sur le territoire national, la promesse d’un avenir artistique s’éloigne. Combien d’expositions qui ont nécessité des mois, des années pour certaines, de travail, ne serrons pas vues, n’existeront jamais vraiment ? Car c’est dans les yeux des spectateurs, des regardeurs, des visiteurs, des curieux, qu’elles prennent vie. « La fabrique du nous » plus que tout autre projet, se veut polysémique, pluriel, attentif à l’autre. L’exposition de l’IAC s’entend aussi, dès le départ, comme un « hommage à l’ensemble des femmes, majoritaires dans les secteurs d’activité essentiels au cours de la crise sanitaire, actrices de rituels de soin ». Prolongée jusqu’au 23 février pour l’instant, elle attend son hypothétique ouverture. Mais après cette date ? Sera-t-elle le symbole d’un gâchis incompréhensible en devenant la première exposition à ne pas avoir ouvert au public ?
- La résidence Gustave Prost, le Village o avec Pistyles et Antome.
- Ana Mendieta arrive aux États-Unis à l’âge de 12 ans dans le cadre de l’opération « Peter Pan ». Dispositif mis en place par le gouvernement américain entre 1960 et 1962 permettant aux enfants cubains, dont les parents étaient opposés au régime castriste, d’être placés dans des foyers d’accueil et orphelinats aux États-Unis.
Image en une : Adélaïde Feriot, Insulaire (avant l’orage), 2016.
Rituel proposé par l’artiste Adélaïde Feriot à l’occasion du lancement de l’exposition Rituel·le·s, le jeudi 29 octobre 2020. Collection IAC, Villeurbanne/Rhône-Alpes. Avec : Célia Marthe. Photo : Thomas Lannes
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- Du même auteur : Helen Mirra, Yona Friedman et Cécile Le Talec, Roman Signer, Angela Bulloch, Thomas Ruff,
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