Louidgi Beltrame

par Andrea Rodriguez Novoa

Quelles que soient les intentions de ces formes dans le désert

Frac Basse-Normandie, Caen, du 2 juillet au 30 août 2015

C’est avec le langage épuré dont il a coutume que Louidgi Beltrame investit le Frac Basse-Normandie. À l’intérieur d’une série d’expositions dont le fil conducteur est la réactivation, il redouble la proposition en prenant appui sur son dernier film, Nosotros también somos extraterrestres, qui s’inspire lui même de deux œuvres de Robert Morris : Observatory[1](1971) et Aligned with Nazca (1975) d’où provient le titre de l’exposition[2]. Présenté dans l’exposition homonyme à la galerie Jousse en 2014, Nosotros también somos extraterrestres opère un rapprochement d’espaces et d’époques hétérogènes en reliant la sculpture Observatory, située en Hollande, aux célèbres « lignes » de Nazca au Pérou.

Louidgi Beltrame, Nosotros también somos extraterrestres, 2014. Vue de l’exposition au Frac Basse-Normandie.

Louidgi Beltrame, Nosotros también somos extraterrestres, 2014. Vue de l’exposition au Frac Basse-Normandie.

Les vidéos de Beltrame tiennent autant du documentaire que de la fiction, l’artiste envisageant l’architecture moderne comme un objet narratif souvent caractérisé ainsi par l’apparition de protagonistes. Dans Les dormeurs (2006), seuls des figurants endormis témoignent de la présence des habitants, de même que dans Brasilia/Chandigarh (2008) les comédiens semblent abandonnés au milieu d’espaces monumentaux. La représentation de l’homme esseulé plonge le visiteur dans le chaos d’un « futur arrivé à sa fin ». Dans Nosotros también somos extraterrestres l’artiste Victor Costales récite de mémoire le texte de Morris « Aligned with Nazca » tout en déambulant le long des géoglyphes. Sous l’influence imperceptible du paysage, il semble à la recherche d’un futur incertain. La structure du film est organisée à l’image d’Observatory, rythmée par le temps des deux solstices et des deux équinoxes. Le son, enregistré lors d’une performance dans Observatory au moment du solstice d’hiver, apparaît décalé de l’image ; les deux ne se rejoignent qu’à la fin du film, produisant ainsi brièvement « le vrai temps présent » de ce film. L’absence de scénographie et d’acteurs professionnels, l’ambiance festive induite par la musique, amoindrissent la dimension sacrée qu’un tel récit pourrait véhiculer.

Louidgi Beltrame, Nosotros también somos extraterrestres, 2014. Vue de l’exposition au Frac Basse-Normandie.

Louidgi Beltrame, Nosotros también somos extraterrestres, 2014. Vue de l’exposition au Frac Basse-Normandie.

Dans l’exposition caennaise, Beltrame poursuit son exploration des formes de la modernité dans un rapport au temps, à l’espace et au corps. La déambulation du public semble être une composante essentielle du projet étant donné que le film — point de départ de l’exposition — se trouve projeté à l’étage et que nous ne parvenons à le visionner qu’après avoir visité l’exposition dans son ensemble. Les pièces inspirées de cette œuvre source apparaissent, au rez-de-chaussée, comme des études la précédant, dédoublant alors la lecture de l’exposition. Dès l’entrée, nous sommes immergés dans l’ambiance d’un musée anthropologique où les objets d’un quotidien passé seraient devenus précieux dans la reconstruction d’un récit, de l’Histoire. Les sculptures Viajando como un loco (2014) et Cumbia del desierto (2014), se rapportant à la tradition populaire des chansons cumbias, ont été réalisées à partir de la structure géométrique de pyramides précolombiennes. Accrochées au mur, elles se déclinent en masques imaginaires, en formes abstraites. La moquette imprimée Paracas Design-Cats (2015), réalisée en une collaboration avec l’artiste René García Atuq et qui reproduit les détails d’une broderie de la civilisation Paracas présentés dans The Textile Museum, catalogue raisonné des tissus broderies Nazca et Paracas, couvre le sol. Principal vecteur de transmission des savoirs pour la civilisation Nazca, la tapisserie devient ici moquette et fait basculer la lecture verticale vers une horizontalité qui renvoie aux géoglyphes : l’espace clos peut alors se confronter à l’immensité du plateau péruvien.

Vue de l’exposition Quelles que soient les intentions de ces formes dans le désert de Louidgi Beltrame au Frac Basse-Normandie, René Garcia Atuq, Paracas design-cats (2015), Louidgi Beltrame, El Colibri (2015), Las Agujas (2015), Viajando con un loco (2014). © Marc Domage 

Vue de l’exposition Quelles que soient les intentions de ces formes dans le désert de Louidgi Beltrame au Frac Basse-Normandie, René Garcia Atuq, Paracas design-cats (2015), Louidgi Beltrame, El Colibri (2015), Las Agujas (2015), Viajando con un loco (2014). © Marc Domage

El colibrí (2015) et Agujas (2015) reprennent les principes d’un prototype[3] pensé par Le Corbusier, un meuble-étagère, conçu pour être le support d’accrochage de peintures, auquel Beltrame substitue ici des photographies[4] de lignes Nazca. Les proportions idéales du nombre d’or déterminent le format du meuble et mettent ainsi en dialogue la géométrie magique de cette civilisation avec le fonctionnalisme du Modulor. Un nouveau basculement du regard s’opère alors dans la disposition verticale des clichés de géoglyphes tandis que le vocabulaire du mobilier entre en résonance avec celui des sculptures et du tapis, rythmant un glissement constant de significations.

Le projet poursuivi par Louidgi Beltrame s’apparente à une recherche scientifique, à un travail d’archéologue : l’affirmation et la fragilité s’y côtoient. L’analyse méticuleuse contrebalance efficacement une grande simplicité formelle, établissant un parallèle certain avec la pratique de Robert Morris, entre minimalisme et Land Art.



[1] Observatory (1971) est un earthwork qui s’aligne avec les levers du soleil aux équinoxes et aux solstices, conçu comme un véritable observatoire accessible au public dans les dunes de Velsen en Hollande ; il a été détruit en 1972. En 1977, Robert Morris reconstruit Observatory à Swifterbant sur un polder hollandais.

[2] « Whatever the intentions of these forms on the desert, they are morphically related to certain arts we see today ». Robert Morris, « Aligned with Nazca », Artforum, octobre 1975.

[3] Peinture encadrée (1958), pièce unique conçue par Le Corbusier.

[4] Des images des lignes de Nazca prises depuis le sol : « Le colibri » et « Les aiguilles » d’après les noms des sites représentés sur les photographies.

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