Marc Bauer au Centre culturel suisse
Comme souvent lorsqu’il est question de la pratique du dessin, les témoignages des artistes se recoupent : souvent il est fait état de laisser-aller, de demi-veille, de légères dérives qui font penser à des rêves éveillés. Marc Bauer ne fait pas exception à la règle : quand il évoque la manière dont les images se forment sur la page et d’où elles proviennent, on retrouve la même « filière » qui décrit une trajectoire partant de cette semi-rêverie et aboutissant à la page blanche qui se tranforme en une concrétion graphique, en un réseau de lignes plus ou moins claires, plus ou moins grasses pour former comme par magie une image plus ou moins réaliste, plus ou moins fantastique et qui possède en tout cas la capacité absolument époustouflante de produire dans un temps record ce qui se rapproche le plus de l’image mentale de départ…
On a dit que le dessin était le plus archaïque des médiums parce qu’il est celui qui nécessite le moins de technologie pour aboutir à la production d’une forme. On peut aussi rétorquer qu’il est le plus « rentable » parce que c’est le médium qui a le meilleur « retour sur investissement » : 1000 fois moins coûteux que le cinéma pour produire une « scène » et dix fois moins laborieux que la peinture pour reproduire un état mental. De nos jours, ce constat n’a guère évolué, il suffit toujours d’un crayon et d’une feuille de papier et… la possibilité de passer d’un stade à l’autre sans qu’il y ait trop de déperdition entre les deux états. Alors archaïque certes, mais fabuleusement efficace ! Ce qui n’empêche pas la complexité des situations évoquées, puisque le cerveau, dans ces instants où il compose lui-même ces scènes, peut s’abreuver à toutes les sources qu’il juge utiles au résultat : le travail de Marc Bauer a été qualifié de dessin d’histoires [1], à juste raison au pluriel, puisqu’il mêle ses propres visions à des situations historiques « réelles », du moins à des faits historiques avérés. C’est aussi ce qui produit l’intensité et l’intérêt de ce travail qui donne l’impression d’être tiré d’une situation vécue. Bien entendu, Bauer est bien trop jeune pour avoir connu les affres de l’occupation, la spoliation des biens juifs, les stalags, mais ce travail d’archivage auquel il redonne sa propre interprétation via le dessin lui assure un effet de réel saisissant.
Au Centre culturel suisse, les dessins sur papier « classiques » alternent avec les grands wall drawings et notamment Le collectionneur qui se déploie en haut de l’entrée du centre : cette alternance renvoie à un désir de disposer d’une gamme de possibles qui, a priori, correspond également aux différents points de vue que l’artiste veut expérimenter : comme il le dit toujours dans cet entretien, avec la variation des formats, on modifie la précision des traits et donc la distance par rapport aux saynètes évoquées. C’est un peu comme si l’artiste avait à sa disposition plusieurs focales et la possibilité de produire des scènes en cinémascope, des gros plans, des plans larges, etc., pour emprunter au vocabulaire du cinéma et à celui de la photographie. Bauer parle de cette possibilité de multiplier les points de vue qui a également à voir avec la position du collectionneur qui aime bien posséder le plus grand nombre possible de facettes d’une œuvre : ce regard porté sur l’acte créateur, aussi inattendu soit-il, amène un éclairage nouveau sur la position de l’artiste et sur ses propres motivations : le choix de la thématique de l’Occupation n’est d’ailleurs pas sans produire un sentiment de trouble chez le visiteur puisque Paris, l’Occupation, la collaboration sont des thèmes que l’on a toujours beaucoup de mal à aborder par chez nous… Et que l’artiste semble avoir beaucoup moins de difficultés à traiter. Disposant de toute une palette d’interventions, des petits cadres aux dessins sur aluminium, et d’une gamme aussi riche de variation sur le floutage, l’artiste réussit à tracer assez habilement le portrait d’une époque qui nous semble toujours aussi troublante et irréelle comme si elle n’avait jamais existé que dans un mauvais rêve…
- ↑ Voir entretien de Marc Bauer avec Olivier Kayser et Jean-Pierre Felley dans le Phare n°13
Marc Bauer, Le collectionneur, du 01.02 au 14.04.2013
Centre culturel suisse, Paris / 32-38, rue des Francs-Bourgeois / F-75003 Paris / Tél. +33 (0)1 42 71 44 50
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- Du même auteur : Capucine Vever, Post-Capital : Art et économie à l'ère du digital, Chaumont-Photo-sur-Loire 2021 / 2022, Paris Gallery Weekend 2021, Un nouveau centre d'art dans le Marais. (Un tour de galeries, Paris),
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