Marie Reinert, un passager à bord
Marie Reinert : Défense Yokohama. Frac PACA, du 27 septembre 2014 – 28 février 2015.
20, boulevard de Dunkerque
13002 Marseille
coproduction des Mécènes du Sud
Peut-être est-ce la proximité de la Méditerranée, à Marseille, qui renforce le principe immersif que convoque Marie Reinert dans tous les aspects de son travail et qui est particulièrement sensible dans l’exposition qu’elle présente au Frac PACA. Une immersion dans les images d’abord, avec le dispositif de projection qu’elle construit au cœur de son exposition dans la salle basse du FRAC et où elle présente trois de ses films les plus récents. Roll On, Roll Off (2008-2010), Quai (2012-2014) et Bull & Bear (2014) projetés à tour de rôle, chacun sur une des parois de cette matrice triangulaire, nous plongent tour à tour dans l’univers mécanique d’un roulier effectuant la traversée entre Marseille et Alger, dans les réseaux de pipelines du port de Fos-sur-Mer et dans l’atmosphère feutrée de la Banque Nationale des Pays-Bas à Amsterdam.
Une plongée à proprement parler, tant la façon dont Marie Reinert aborde son sujet filmé repose sur un principe de « caméra embarquée » qui favorise les gros plans et lui permet de pénétrer le cœur de ses sujets. Ceci est particulièrement sensible dans Roll On, Roll Off, de lents travellings au sein d’une mécanique dans laquelle les ouvriers apparaissent comme autant de pièces de rouage d’un moteur, un univers clos fonctionnant en circuit fermé et n’offrant aucune échappée sur le monde extérieur. A l’inverse en apparence, le film Quai saisit les extérieurs du terminal pétrolier de Fos-sur-Mer. Mais la somme de réseaux inextricables de pipelines rejoue le principe quasiment intestinal qui se dégage dans Roll On, Roll Off. Son troisième film tourné dans la Banque Nationale des Pays-Bas semble se situer aux antipodes d’un port maritime, dans l’abstraction du monde de la finance. De salles de réunion corporate en bureaux lambrissés, Marie Reinert promène une caméra subjective qui suit les indications d’une boussole dont l’aiguille se déplace en fonction des évolutions du cours de l’Euro-Dollar. Un téléscopage souvent loufoque entre les séances de brainstormings, les négociations ou autres réflexions prospectives des employés de la banque et les errances azimutées de l’artiste obéissant aux produits de transactions financières. « I follow my compass » répond l’artiste aux employés interloqués devant cette sorte de zombie du capitalisme tardif hantant les couloirs de son antre même.
Si l’artiste surjoue ici la dépossession de son propre corps, celui-ci demeure un élément central de son travail pour lequel et à partir duquel elle réalisé nombre d’outils, presque des prothèses, qu’elle utilise dans le cadre de ses travaux. L’ensemble de ces objets au statut indéfini, entre adjoints de l’artiste et œuvres mêmes, est présenté à l’extérieur de la salle de projection, sur ce qui s’apparente plus à une étagère de rangement qu’à une vitrine de musée. L’éclairage au néon blafard de la salle d’exposition renforce la dimension de « réserve visitable » d’objets qui ont partie liée à la mémoire des travaux de l’artiste. Le petit triptyque vidéo présenté sur la première face de la salle de projection met en abime cette question de la gestion de la mémoire par les systèmes de production : Fouille (2007) est le relevé topologique d’un bureau effectué par un archéologue. Un principe d’archivage qui s’apparente à un système de contrôle, le tout étant filmé par une caméra de surveillance. A l’étage, un Plateau multimédia présente une sélection de films d’entreprise réalisée avec la commissaire de l’exposition Florence Ostende fait écho à cette interrogation sur la mémoire des systèmes. Sur le pan arrière de la salle de projection, un travelling est installé portant non une caméra mais un long bras équipé d’un crayon traçant les lignes au mur : la somme des aller-retour effectués par la machine est le produit du décompte journaliers des visiteurs entrant dans la salle de projection, comme une mise en boucle par l’œuvre de l’institution sur elle-même dans l’absurdité de ses comptabilités et indicateurs, autre manière d’interroger un système par l’usage même de l’exposition.
La déambulation autour de la salle de projection se poursuit avec une série de grands disques noirs réalisés au crayon 7B. Une démarche comprise comme un « retour d’expérience » débuté en parallèle au tournage de Roll On, Roll Off. Une contrainte du corps dans le temps : 4:54:54, 6:29:58,… Les légendes de ses Etudes-Gestes indiquent le temps passé dans ce processus de rendu d’une expérience physique par la trace et le dessin. Les sillons ou cernes, selon le point de vue métaphorique depuis lesquels on les considère, pourraient aussi bien être l’enregistrement de ce temps de travail que celui de l’expérience dans le creux de laquelle ils se dessinent, rejouant par ailleurs cette question de l’archive. De manière énigmatique, Marie Reinert reprend cette matière qui lui est chère, le graphite, et réalisé lors d’une collaboration avec Faber-Castell à Nuremberg son Globus (2014) qui accueille le visiteur à l’entrée de l’exposition : des pains de graphite imbriqués les uns dans les autres forment une manière de sphère aux territoires ré-agencés, comme informée symboliquement par les mécaniques d’un système interne dont la logique nous échappe.
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- Du même auteur : Art-O-Rama etc., Dominique Gonzalez-Foerster, 1887 - 2058,
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