Martin Parr
Parrathon, Frac Bretagne et Jardin du Thabor, Rennes, 13.06.2020 – 24.01.2021
Le Frac Bretagne à Rennes accueille une rétrospective d’envergure du photographe britannique Martin Parr. Produit par l’agence Magnum Photos, ce Parrathon, mot-valise rappelant le photomaton et la course de fond, retrace la carrière du photographe en quatorze séries et près de cinq-cents photographies, depuis les années 1970 jusqu’à ses œuvres récentes. Dans ce titre dual, c’est la fois un travail photographique marqué par des bouleversements sociétaux et la consistance de notre propre image qui sont à l’œuvre. Etienne Bernard, dont c’est la deuxième exposition en tant que directeur du Frac, ouvre ainsi l’institution à une envergure internationale, explorant une dimension divertissante et néanmoins politique du travail de Martin Parr. L’exposition, dans le contexte sanitaire actuel, résonne d’autant plus qu’elle souligne de façon marquée la place de l’individu dans les actions collectives et dans le monde globalisé mais, plutôt que d’y voir un certain cynisme dans le regard de Martin Parr, ce serait au contraire un positionnement intégrateur et relativisé qui advient, faisant poindre l’absurdité de nos rapports aux objets.
Au kitsch, au clinquant, au langage percutant de l’artiste répond une scénographie plutôt en sobriété bien qu’elle débute avec un parti pris curatorial marqué. L’exposition s’ouvre en effet sur une salle aux murs vert menthe présentant deux séries noir et blanc inédites en France dont Bad weather (1982), un gimmick météorologique anglais permettant à Martin Parr de s’essayer à la photographie à rebours des attentes. Avec son appareil waterproof au flash, l’artiste semble remettre en circulation des signes perdus, jetant un regard sur le fugace, le non réitérable de nos attitudes. Des scènes de genre se dessinent sous la pluie, des paysages étranges et instantanés sont saisis : une voiturette, un mouton dans la rue, des individus se protègent de la pluie avec des objets de fortune. Plus loin, The Non-Conformists (1975) fait la chronique d’une congrégation méthodiste en voie de disparition : scènes de tablées collectives avec tous les atours de l’accessoire dont un chapeau de lady répondant à la Cène du Christ ; les points de vue de Parr révèlent déjà une méthodologie bien singulière et une tonalité enlevée.
Le style de Parr, une fois abouti, pousse à l’extrême le devenir théâtral des formes en questionnant la surabondance et la consommation de masse. L’installation Common Sense rappelle le principe de la collecte d’archives de Jeremy Deller, Folk Archive. Elle montre sur fond noir une collection de photocopies couleur A3 affichant des gros plans sur des nuques, des ongles vernis, des bretzels, des gâteaux et des caniches dans des coloris pop et acidulés. Un rapport inclusif au visiteur apparaît dans cette scénographie, le choix des photocopies induisant une désacralisation de l’image, donnant un côté domestique à l’art dans son rapport à la reproductibilité. L’ensemble se déploie à la manière d’une collection fétichiste et ordonnée. Dans une logique de mise à distance de la culture marchande, ce kitsch affiché fait sourdre ce qu’il y a d’avilissant dans la production en masse, l’expérience esthétique se nourrit de pragmatisme, on serait quasi dans la pulsions scopique. Le détail lui, reste toujours prégnant, comme une marque de fabrique de la photographie conceptuelle et vernaculaire de Parr, avec ses personnages de dos, ses motifs, ses fétiches et ses têtes à chapeaux.
La suite de l’exposition se veut un parcours beaucoup plus sobre, laissant les photographies de l’artiste se déployer dans leur caractère irréductible et si expressif. Plusieurs séries se présentent en grand format, de façon aérée, ouvrant le propos sur un point de vue sociologique et critique. Martin Parr puise l’essentiel de son inspiration dans le passé excentrique britannique et les bouleversements sociétaux vécus ces dernières décennies. Il s’attaque à l’autorité de l’establishment, questionne le positionnement des britanniques sur le Brexit, l’identité nationale mêlée à l’idiosyncrasie, avec un sens de la théâtralité et de la comédie en filigrane. Les vulnérabilités décelées dans les espaces publics, les êtres en représentation sont décryptés dans leur rapport au rituel, à la communauté (Luxury, Establishment). En déclinant le parcours autour du tourisme de masse, ces pèlerinages contemporains, et de la représentation de soi (Death by selfie, Self-portraits), Martin Parr déploie cette idée de la place du sujet dans un univers où le déni du corps est perpétuel. Aussi, l’exposition se termine sur une dernière immersion du visiteur dans une salle où se reflète sur les murs une boule à facettes. La série Everybody dance now offre un regard universel et amusé sur l’expérience collective et l’échange, sur l’oubli de soi dans un rapport essentiel au corps : la danse. L’ensemble se révèle être une vraie prise de position critique et pleine d’humour face à la représentation de soi et de l’autour, chacun se reconnaissant comme être absolument singulier dans un monde en pleine déconstruction.
Image en une : Martin Parr, Establishment – The Grecians Ball, with Alice in Wonderland theme, Christ’s Hospital School, West Sussex, England, 2010
© Martin Parr / Magnum Photos
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