Matérialité de l’invisible
Le Centquatre, Paris, du 13 février au 30 avril 2016
La Vénus du Jouy est le nom d’une brosse à dent déterrée en 2009 par une équipe d’archéologues. Elle fut retrouvée sur le site du Déjeuner sous l’herbe, performance de Daniel Spoerri réalisée en 1983. À la sortie de « Matérialité de l’invisible archéologie des sens » présentée au Centquatre, ce terme résonne encore dans ma tête comme me rappelant une vieille tante fardée, jadis aimée, ou bien encore une peinture délaissée dans une salle d’un musée. Il ouvre une série de questions sur l’exposition. La difficulté d’un sujet si vaste est de trouver un angle précis, au Centquatre le pari est-il réussi ? Le titre est emprunté à une œuvre de Hicham Berrada. Le ton poétique est donné et propose une allusion indirecte à l’archéologie. De même que sur un site de fouille, la déambulation dans l’espace est un jeu de dédale et de recherche. La matière invisible serait comme le propose l’exposition, celle qui se cache sous nos pieds, celle qui parle de l’Histoire, celle de notre Terre. Ici, on trouve un peu de tout, de la nature, Anish Kapoor, du sucre, de la politique et des machines mécaniques. Les frontières se brouillent progressivement entre art, sciences et technologies. L’ensemble promet une grande variété de prises de positions sur l’archéologie qui, tout en étant intéressantes, manquent parfois de lisibilité. Les artistes semblent d’ailleurs parfois jongler entre des volontés artistiques et des attentes politiques.
Certains d’entre eux s’intéressent de manière littérale à la question archéologique et son rapport à la matière tels que le duo Agapanthe, Nathalie Joffre ou encore Julie Ramage. Ces derniers se sont rendus sur des sites de fouilles et en ont reproduit les formes ou s’en sont inspirés. D’autres le suggèrent de manière indirecte en reliant l’homme et la nature. Comme chez Hicham Berrada qui volontairement s’amuse à détourner l’environnement d’une plante pour permettre à l’homme de goûter à son parfum. Ali Cherri, quant à lui, présente une installation qui questionne notre rapport au patrimoine. Ainsi l’archéologie devient le prisme pour évoquer tour à tour la nature, l’environnement, le patrimoine et l’histoire. Enfin l’œuvre d’Anish Kapoor peut rappeler les liens étroits entre le land art et l’archéologie. La mise en relation semble parfois maladroite entre les différents travaux mais l’exposition cherche néanmoins à transcrire une ambiance dans sa scénographie qui permet d’associer les œuvres entre elles. Le Centquatre est un lieu complexe, à l’inverse du white cube, il est parfois difficile pour un œil habitué des galeries de se repérer dans ces espaces si différents. L’on passe ainsi de pièces étroites à d’immenses halls enveloppés de grands rideaux noirs, puis aux murs de briques du bâtiment. Une des qualités d’une exposition se ressent par la capacité de son auteur à rythmer les œuvres en offrant des respirations à celui qui la visite. Cette bouffée d’air se retrouve dans certaines salles, sans doute grâce au tour de magie des artistes qui réussissent à offrir à leurs œuvres un écrin. Julie Ramage propose une installation sonore envoutante et enveloppante et invite le spectateur à un voyage dans des fouilles archéologiques en Essonne. Le bruit des corbeaux, les photographies sombres, les ombres qui s’impriment sur le papier, le noir intense content une histoire fantastique.
Peut-être l’exposition aurait pu gagner en ampleur si avait été invité un chercheur spécialiste comme Audrey Norcia1, doctorante qui a travaillé sur les liens entre art contemporain et archéologie. Pour elle, les artistes du Pop Art Américain et du Nouveau Réalisme sont des archéologues de leur temps et explique comment certains artistes comme Arman ont permis des avancées techniques en archéologie. L’art n’étant plus tant ce qui cherche dans d’autres disciplines que ce qui en nourrit d’autres. L’exposition nous laisse divaguer et on en vient à se souvenir d’autres œuvres comme celle de Simon Fujiwara A frozen city réalisée en 2010. À Frieze London, l’artiste avait reconstruit des sites archéologiques réalistes et fictionnels pour suggérer notre perte progressive de la matérialité via les technologies numériques. On rêve à l’archéologie comme d’un vieil ami, d’une bande dessinée Tintin, d’Indiana Jones un dimanche soir, comme un poncif abimé par les années, un cliché retrouvé. On sent l’odeur de la poussière et on se laisse éblouir par l’éclairage violent d’un site en pleine fouille. L’exposition évoque par le biais de travaux d’artistes les questions de notre environnement contemporain. Elle conserve le goût et le désir enfantin de la découverte.
1Audrey Norcia, Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais – Rencontre entre l’archéologie et l’art contemporain des années 1950 à nos jours, Paris : Université Paris I – Sorbonne, 2013
Avec : Agapanthe (Konné & Mulliez), Hicham Berrada, Ali Cherri, Miranda Creswell, Johann Le Guillerm, Nathalie Joffre, Anish Kapoor, Julie Ramage, Ronny Trocker. Performance d’Adrian Schindler et conférence d’Eric Arnal-Burtschy.
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- Du même auteur : La vérité n’est pas la vérité. , Gyan Panchal, Rien ne nous appartient : Offrir, Corentin Canesson, Sur le Motif,
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