Mélodie Mousset
L’épluchée, Centre culturel Suisse, Paris, 27.10.2019 -2.02.2020
Je déploie ma main comme celles, désincarnées, qui apparaissent dans HanaHana: Full Bloom, la pièce en réalité virtuelle de Mélodie Mousset qui forme le cœur de son exposition au Centre Culturel Suisse. Ce mouvement floral est beau et troublant, à la fois naturel et absolument pas naturel. Les mains surnaturelles mises en scène par Mousset jaillissent en spirales extraterrestres du sable comme de l’océan. En un mouvement répétitif, chacune émerge de la précédente, comme en écho à chacun de ces appendices esthétisés et manucurés.
Ces formes humanoïdes fragmentées semblent montrer du doigt un monde inhumain, posthumain ou peut-être surhumain. Son paysage contourne les problèmes humains de politique et d’immigration pour se projeter au-delà, vers une crise apocalyptique de science-fiction réaliste bien qu’esthétisée : une existence posthumaine dans laquelle les ligaments humanoïdes font désormais partie du paysage naturel.
Guidée par une assistante, j’ai pu découvrir plusieurs caractéristiques du jeu. Pour le joueur, il est possible d’aller sous l’eau, d’escalader les mains spiralant dans le ciel comme des plantes grimpantes ou d’explorer des grottes et des structures ressemblant à des ruines.
HanaHana est un paysage posthume post-apocalyptique et serein. Il n’y a pas d’humains, seulement des fragments et des échos, à la fois animés et inanimés ; sans système nerveux central, les mains ne sont capables que d’une seule réponse, celle de l’utilisateur : se reproduire à l’infini, en s’élevant les unes les autres jusqu’aux limites et aux profondeurs de l’espace de jeu.
Hana signifie fleur en japonais, mais, avec le suffixe –su, hana signifie aussi parler et Hana-shi se traduit par « histoire ». L’exposition serait alors l’effeuillage ou le déploiement d’une histoire dont les ramifications forment autant d’artères, comme le souligne HanaHana (Branch), la sculpture de mains en néon qui illumine de bleu et de rouge incandescent le mur du fond.
Le texte qui accompagne l’exposition révèle que la mère de Mousset est aux prises avec une forme héréditaire de schizophrénie. Le message de guérison de l’esprit et du corps malades se fait alors plus personnel et explicite, au regard des autres pièces de l’exposition. Le film Intra Aura raconte l’histoire de la recherche de l’artiste d’un remède pour le cerveau par le biais du corps et de l’esprit. Son parcours suit celui du dramaturge schizophrène Antonin Artaud, ce que souligne Chris Kraus dans sa critique d’Organic Voyage (une version antérieure d’Intra Aura) : « Le Voyage de Mousset est en quelque sorte le miroir du célèbre voyage d’Antonin Artaud […] mais à l’envers. Il cherchait un corps sans organes ; elle essaye d’extérioriser ses propres organes sans corps pour les contenir1 ». Son approche la plus évidente de l’exteriorisation se fait par l’écho et la réplication. HanaHana, le titre de la pièce en VR, est un écho en soi, s’articulant avec Intra Aura pour mettre en évidence le désir de l’artiste de reproduire des parties du corps humain. Mousset s’inspire ici du manga populaire One Piece dans lequel l’héroïne Nico Robin ingère le « fruit du diable » (aussi appelé hanahana dans la version originale en japonais), lui permettant de reproduire des parties de son propre corps.
De la même manière, Mousset scande son corps comme une incantation, se reproduisant à des dimensions extraordinaires. Elle moule puis restitue ses organes vitaux en cire, en marbre, en bronze et même en fruits. Une scène poignante du film la montre errant dans un marché de produits mexicains à la recherche de fruits et légumes qui ressembleraient aux versions de cire de ses organes. Ce passage se conclut avec une Mousset enserrant tendrement sa récolte d’organes fruitiers. Le titre de l’exposition, « L’épluchée », prend alors tout son sens.
Dans un coin l’on aperçoit justement Bare Ripple, une couverture de peau nonchalamment posée en tas sur le sol, drapant lâchement une forme humanoïde comme un linceul. C’est ici que se trouve la fameuse pelure, et tout autour, le reste : le voyage intérieur et universel vers la plénitude psychique et la réconciliation. « L’épluchée » se lit comme une ensemble de vaisseaux avec des veines qui suivent et explorent les digressions de l’artère principale, s’arrêtant ici ou là, comme pour dire, non, ce n’est pas ça. Les mains d’HanaHana croissent en spiralant, accrochées les unes aux autres, jusqu’à ce que le joueur relâche la pression. Intra Aura est ponctué d’incidents, d’obstacles et de faux départs. « L’épluchée » est un chemin schizoïde balisé d’arrêts et de ratés, de déviations et de nouveaux départs.
1 Chris Kraus, « Future Greats: Mélodie Mousset », ArtReview, Jan-fév. 2019
(Toutes les images : Vues de l’exposition Mélodie Mousset, L’Epluchée, Centre culturel suisse, 2019 © Photo : Margot Montigny.)
Traduit de l’anglais par Aude Launay
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