Puppies Puppies
Balice Hertling, Paris, 7.07- 6.08.2016
Force est de reconnaître que la connexion Paris-USA, dans sa dimension plus underground et prospective, est souvent plus réactive du côté des galeries que des institutions parisiennes. L’un des derniers exemples concerne Queer Thoughts, lieu phare de la toute nouvelle génération new-yorkaise (à retrouver bientôt sur la foire Paris Internationale), invité l’an dernier par la galerie Eric Hussenot, suite à des connexions virtuelles avec une jeune génération de curateurs et project-spaces parisiens (Shanaynay, Exo Exo, La Plage). Queer Thoughts inscrit sa démarche dans une stratégie politique de la « post-identité » – faisant de l’indétermination, de la contradiction et de l’auto-sabotage un programme pour échapper à l’assignation par autrui, au contrôle et à l’auto-enfermement. Artistes/curateurs/galeristes, les deux responsables du lieu penchent pour une théâtralité confondante, sans peur d’explorer ce que d’autres considèrent comme des clichés, avec une sensibilité camp qui ne distingue pas l’artifice de la sincérité. Pas de surprise alors si leur première exposition à New York (après leurs débuts à Chicago) était celle de Puppies Puppies, une autre créature « post-identité » devenue une légende urbaine. Il(s) étai(en)t exposé(s) à la galerie Balice Hertling cet été, mais ne vien(nen)t pas aux vernissages ou s’y présente(nt) déguisé(s). Cette fois-ci, un performeur masqué en Statue de la Liberté accueillera les visiteurs, évoquant son rôle de phare symbolique pour les migrants arrivant sur le nouveau continent (de retour au pays qui l’avait envoyée en cadeau à l’Oncle Sam). Mais Puppies Puppies (qui parle de lui à la troisième personne) est autant doté d’un humour énigmatique que d’une capacité à charger les objets d’affects, les imprégnant d’une vibration émotionnelle et sexuelle. Plutôt qu’un désir identifiable, ce dernier restera fluide et intersubjectif, fonctionnant par empathie avec les objets. Cela peut évoquer le fétichisme des « fan cultures » développées sur internet (Puppies Puppies achète de nombreux produits sur des sites de « fan art » comme Etsy) mais, paradoxalement, l’ensemble constitue une narration très personnelle.
Dès l’entrée, posé sur la table, un cœur en plastique ouvert donne un ton à la fois émotionnel et clinique (il s’agit d’un modèle anatomique appartenant à la mère chirurgienne de Puppies Puppies) prolongé par un scarabée et des papillons épinglés. Le(s) artiste(s) évoquent souvent l’enfance comme modèle d’appropriation des choses (« pour comprendre la vision d’un enfant, vous devez analyser les objets comme des symboles clés de leur vie ») et prolongent cette dimension régressive en plaçant l’art dans la continuité de fonctions basiques du corps, comme déféquer ou se laver. L’une des salles sera ainsi recouverte de rouleaux de papier toilette (autour des peintures d’un complice, Will Benedict), tandis qu’une douche sera installée dans la galerie principale. « Faire bouillir les choses au niveau de ces gestes primaires nous fait réaliser à quel point une salle de bain est importante dans le schéma de la vie », rappelle Puppies Puppies. L’humour ou leur goût jubilatoire de l’absurde ont transformé le vernissage en performance avec un gogo danseur prenant sa douche sur place. À côté, se trouve un jean du styliste japonais Ken Kagami, troué au niveaux des parties génitales (« l’image de la vulnérabilité, la négation d’un ‘vêtement-bouclier’ », selon Puppies Puppies, en écho à la vidéo Sauron (Bataille Solar Anus) où l’image d’un anus se croise avec celle d’une fente sur un soleil, citant le premier livre de Georges Bataille.
L’excès chez Puppies Puppies est pourtant mis en tension avec une réflexion subtile sur le ready-made. Au centre de l’exposition, ils ont placé deux oliviers devant la bannière solaire de D’Ette Nogle qui fait l’éloge de l’huile d’olive californienne. Selon Puppies Puppies, l’installation est censée célébrer le couple et le nouveau lieu de résidence de(s) artiste(s). Au-delà, il(s) cherche(nt) clairement à contrarier le principe du ready-made, ou peut-être à radicaliser leur transgression initiale en classant leurs œuvres comme des éditions ouvertes, illimitées. Plutôt que de chercher à les transformer en art, Puppies Puppies semble aller dans la direction opposée, cherchant à conserver leur fonctionnalité, à l’exemple de la douche. « Les ready-made sont profondément intégrés à l’histoire de l’art, ils ne font même pas sens en dehors de celle-ci, tandis que certaines sculptures et peintures y arrivent », poursui(ven)t-il(s). Il(s) parle(nt) plutôt d’ »émotions ready-made », déclenchées par l’emploi d’éléments et de personnages immédiatement reconnaissables et médiatisés : « Certains objets qu’on utilise ne font peut-être pas sens en tant qu’art, mais ils le font en tant que déchets ».
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- Du même auteur : Céline Ahond, Digital Gothic, Anna Solal,
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