Rémy Brière
« Elvis Kisses », Arnaud Deschin Galerie, Paris, 9.02—25.03.2018
« inspiration ~ transpiration », avec Nils Alix-Tabeling, Rémy Brière, Gaëlle Choisne, Chloé Delarue, Dimension Émotionnelle, Quentin Euverte, Goiffon & Beauté, Raphaël Moreira Gonçalves et Kevin Senant, commissariat : Le syndicat magnifique, Maison des Arts de Créteil, 3—17.02.2018
Rémy Brière est artiste et set designer. Il va sans dire que la relation dialogique entre l’art et la publicité est ambiguë et qu’elle pointe du doigt une certaine passivité collective. Une question se glisse donc d’emblée entre l’harmonie visuelle de ses installations et les narrations qu’elles dessinent : sommes-nous à l’endroit de simulacres scéniques employés à désacraliser l’histoire de la représentation ? À première vue, les œuvres semblent en filiation avec l’Arte Povera : le refus d’une assignation d’identité, la valorisation de processus qui mettent en relation des matériaux pauvres et sophistiqués, naturels, culturels… Mais dans une lecture distanciée qui investit la notion d’image. Toutes ces catégories sont-elles bien en jeu ?
Non. Rémy Brière me répond avec une sensibilité et une décomplexion désarmante. Il préfère que l’on sépare ses deux pratiques. Elles n’ont rien à voir. Il me parle de sa passion pour les lignes claires, les cintrages de métaux qui « esquissent des narrations, tout en convoquant le maniérisme ». Il cherche des glissements de références « difficiles à assumer » : Elvis par exemple, un fétiche ? Tout autant qu’un « lieu commun » ! C’est précisément ce trouble qui l’intéresse. Il ne veut pas avoir à se heurter à un art conceptuel pensé comme un « art savant », son travail est plutôt une « gymnastique de pensée » dont les étirements renversent les protocoles.
Sa pratique est avant tout processuelle : fabriquer des contenants, floquer, faire disparaître l’objet, n’en garder qu’une silhouette, se livrer à des « gestes premiers ». Une tige de laiton ? Une fleur ? Un diamant ? Une pastèque ? Qu’est ce qu’un « rapport immuable » ? Celui qui permet à « une porosité » de résister à « un quadrillage de références »… Celui qui fait vivre une « gestation » à l’endroit même de son « arrêt ».
De plus, Rémy Brière accorde une légitimité aussi grande au temps du plaisir qu’au temps de la conceptualisation : quelles sont les durées engagées dans une pratique ? Il n’est surtout pas question d’efficacité mais de corps qui vibrent dans leur relation à «l’espace», un espace à entendre comme l’endroit d’un « doute ». Car il est d’abord question de rapports de distance qui ne seront « jamais d’actualité », toujours antidatés, incernables, « mais sans aucun obscurantisme » : juste des signes ouverts.
Pour « Elvis Kisses », son exposition à la galerie Arnaud Deschin, il détermine « un terrain de jeu dans le terrain de jeu » avec de la moquette et du sable coloré, puis y dépose un extincteur dont les instructions effacées font place à un poème. Plus loin, sur un passe-partout, il dessine une ligne enlevée au crayon puis s’emploie à la retrouver en studio avec un serpent sous son objectif. Ce sera au serpent d’adopter la pose, là ou une logique classique aurait suivi le rapport inverse, c’est à dire le mouvement d’un serpent et sa reproduction. Plus loin encore, une partition gravée d’un morceau de House, Artists with Attitudes. Une « attitude » ? Un faux-ami pour les anglicistes. Le problème de traduction l’intéresse : non il ne s’agit pas de « mesquinerie », juste de « danse ».
À la Maison des arts de Créteil, il s’inscrit dans l’exposition « inspiration ~ transpiration » du Syndicat Magnifique et présente une installation croisant des objets disparates, éparpillés, des vases traditionnels, meulés, qu’il assortit de paradigmes peints ; un peu plus loin, des chaises renversées faisant office de socles à œufs, comme un « dialogue avec la gravité1 » : il appréhende l’œuf comme le « premier instrument du danseur », capable de tenir en équilibre, si on y prête attention. Rémy Brière cherche précisément ce point d’équilibre qui révèle que « c’est l’espace qui soutient le corps ».
Une bande-son diffusée en boucle présente la trace de ses récents cours de chant, « une pratique de plaisir » engagée comme un moyen tout aussi légitime que celui d’une recherche à la bibliothèque. Il cite alors, en passant, Le camion, un film de Marguerite Duras qui met en scène la lecture d’un scénario sur des plans de semi-remorques, de paysages: « Faire croire à un moment de gestation, pourtant très arrêté, très écrit, j’adore bloquer les choses, dans un step, juste avant ».
Ses explications courent vite, elles dansent aussi un peu. Alors que le climat artistique nous pousse à penser chaque forme en termes de visualité médiatique, Rémy Brière, placé au centre de l’ouragan, ne vibre qu’en termes de processus, d’expériences de durées et d’espaces. Il débine ainsi l’enjeu politique du regard contemporain, celui d’un positionnement par rapport à l’image. À la manière d’un jeu spontané qui, envers et contre tout, déroute la perception pour livrer une réalité métaphorique.
1 Dialogue avec la gravité, Usai Amagatsu.
(Image en une : Rémy Brière, Sans titre, 2018. (Détail). Moquette, sable coloré, pièce de monnaie. Vue de l’exposition personnelle de Rémy Brière, « Elvis Kisses », Arnaud Deschin galerie Paris. Courtesy Arnaud Deschin galerie Paris © Photo Romain Darnaud.)
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