Simon Nicaise
Art Thérapie
Frac Normandie, site de Sotteville-lès-Rouen
16.10.2021 – 06.03.2022
La nouvelle entité du Frac Normandie est le fruit de la fusion entre les deux institutions du territoire normand – une première en France depuis la réforme territoriale de 2015 –, voulue par les élus régionaux. Elle aura fait une victime collatérale, Véronique Souben, directrice du Frac Normandie Rouen depuis 2010, sacrifiée de façon peu élégante – le mot est faible. Sa dernière proposition curatoriale, à la fois drôle et forte, si juste étant donné notre besoin actuel d’attention et de « care », répond avec panache à la situation. L’invitation faite à Simon Nicaise (né en 1982 à Rouen, vit et travaille à Paris) est ô combien réjouissante. L’artiste, qui curieusement n’avait encore jamais exposé dans sa ville natale, revient sur dix ans de création plastique qu’il aborde sous l’angle du soin, du thérapeutique, interrogeant l’art sur sa possibilité à soigner. « Art thérapie » convoque à la fois les codes de l’atelier, de la salle de remise en forme et du back office pour donner corps à ces questionnements. L’exposition prend la forme d’une première rétrospective qui, loin d’être linéaire et chronologique, est plutôt fondée sur un dialogue entre les œuvres, faisant « fusionner des pièces et des sculptures entre elles[1] » nous dit l’artiste qui « opère à certains collages ». Cette proposition lui permet d’observer la façon dont il fait tenir ses réalisations debout et également « la manière dont elles lui permettent de tenir debout ».
Diplômé de l’École des Beaux-Arts de Rouen en 2008, Simon Nicaise développe une pratique sculpturale qui s’applique consciencieusement à détourner les objets du quotidien en les élevant au rang d’objets d’art à l’humour poétique singulier. Co-fondateur en 2012 de la web radio *DUUU – Unités Radiophoniques Mobiles dédiée à la création contemporaine, il a récemment suivi les Compagnons du devoir dans leur tour de France, se rendant d’une ville à l’autre afin d’acquérir des techniques et des savoir-faire méconnus, plutôt artisanaux. Sa pratique explore différentes façons de rendre accessible la création plastique, en convoquant en particulier notre rapport affectif à l’art.
Une plaque professionnelle apposée sur le mur extérieur à l’entrée du Frac Normandie indique : « Simon Nicaise », suivi au-dessous de la mention « Art Thérapie ». L’artiste transforme l’institution en cabinet de soin en opérant une mise à plat quasi littérale de son travail artistique. Dans l’exposition rouennaise, l’intention relève cependant du faux-semblant. Les objets apparaissent en effet esseulés. Peu praticables, à la fois familiers et défectueux, ils installent le parcours de « care » dans un inconfort, une sensation incommode, qui annule toute forme de bien-être. L’art mis à nu de Simon Nicaise, censé incarner les outils thérapeutiques au cours d’une visite d’exposition devenue séance de soin, provoque l’effet contraire. « Personne ne sortira guéri de cette visite[2] » promet Nicaise. Ainsi, l’exposition présente-t-elle quelques hommages aux prédécesseurs de Nicaise dans l’histoire de l’art. Au-delà du dialogue avec ses pairs, l’artiste donne à voir un ensemble d’objets dysfonctionnels : un kilomètre de cierge, enroulé autour d’un touret en bois, se consume de façon continue, ce qui paradoxalement augmente son cycle de vie, tandis qu’un peu plus loin, vingt cigarettes figurant un paquet de gauloises sont suspendues en équilibre précaire aux extrémités d’un mobile. Elles se consument lorsque celui-ci se met en mouvement. Objets techniques d’apprentissage, les « cannettes à révolution » (2021) arborent un escalier hélicoïdal. Un « mobile à bascule », composé de trois tiges en acier superposées dont chacune est occupée en son centre par une bougie, entre en mouvement lorsque celles-ci sont allumées. Pour « Poésie du sans titre » (2016), Simon Nicaise confie son trousseau de clefs à un serrurier qui n’en garde que les matrices non gravées, les rendant inopérantes mais conservant en elles un répertoire d’imaginaires possibles. Six clous de taille décroissante sont fixés les uns sur les autres dans une « Méditation compulsive ». Plus loin, un gisant est découpé selon le débit Moreau que l’on applique aux troncs d’arbres. Seul le cœur de la découpe est ici conservé, réduisant la sculpture à une simple ligne concentrant tous les éléments qui constituent le monument funéraire. Simon Nicaise inverse le procédé traditionnel de sculpture qui part d’un bloc pour y sculpter une forme, en débitant la sculpture pour en extraire un bloc. « Lionnel » (2018) reprend les outils et techniques de la fabrication de bougies. Trente-deux roses sont trempées dans plusieurs bains de cire successifs, les recouvrant d’une fine pellicule à fois protectrice et occultante. Des boules de glace conservées dans un congélateur, la « Cannibalisation d’une goutte d’eau » est l’une de premières théories formulée sur la croissance des flocons de neige. Les boules de glace se rejoignent tels des atomes pour ne former qu’un seul bloc.
Une boite, réalisée à partir de poids fondus dans la forme de leur contenant, représentant un lingot de laiton de dix kilos, somme totale de tous les poids, est rendue complètement inopérante. Avec beaucoup d’humour, Simon Nicaise immisce le doute dans un appareil d’exactitude. Au rez-de-chaussée, ouvrant l’exposition autant qu’il la conclut dans une sorte de boucle circulaire, un bouquet de fleurs se fracasse contre un mur à intervalle régulier. La violence du choc est telle que le mur se colore de pigments végétaux tandis que les pétales jonchent le sol tout autour. À la décomposition du bouquet répond sa permanence murale.
Entre bricolage, artisanat et ready-made, Simon Nicaise aborde la sculpture par le biais de la construction, le geste, l’accident, l’appropriation, notions centrales dans son travail. Il rend obsolètes les objets les plus usuels en les revisitant. Il ne s’agit cependant jamais d’artefacts. Les objets restent de l’ordre de l’utilitaire et conservent une forme de réversibilité. « Chaque objet que j’utilise peut retourner à son état initial[3] » précise l’artiste. À travers ces décalages, il construit une réflexion sur le passage de l’objet à l’œuvre d’art pour mieux questionner le statut de l’artiste lui-même.
[1] « A Rouen, l’Art thérapie de Simon Nicaise », Arnaud Laporte, Affaire à suivre, France Culture, 14 janvier 2022, https://www.franceculture.fr/emissions/affaire-a-suivre/a-rouen-l-art-therapie-de-simon-nicaise Consulté le 12 mars 2022.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
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Image en une : Vue des œuvres « Touret » (2016) et « Gisant » (2012)• Crédits : Simon Nicaise / FRAC Normandie
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- Du même auteur : Helen Mirra, Yona Friedman et Cécile Le Talec, Roman Signer, Angela Bulloch, Thomas Ruff,
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