Sur le Motif
Maba, Maison d’Art Bernard Anthonioz, Nogent-sur-Marne, du 18 février au 30 avril 2016
Le parc de la Maison d’Art Bernard Anthonioz a ce faux air d’un espace figé dans le temps. La maison convoque les esprits de ses anciens locataires. On imagine bien là, installées sur deux belles chaises en osier, les sœurs Madeleine et Jeanne Smith. Il suffirait d’un simple rayon de soleil et l’ensemble serait parfait. C’est sans doute ce que l’exposition « Sur le motif » tente de raconter. Une sorte de récit en touches éparses d’un lieu et d’une histoire construits par ses résidents, des deux sœurs jusqu’aux artistes contemporains. L’exposition propose ainsi de manière poétique et pudique de revenir sur les dix années d’occupation de la maison depuis sa transformation en 2006 en un lieu de résidence et d’art contemporain. Il est amusant de penser aux choix curatoriaux qui ont dicté cette exposition : l’héritage d’une famille de bourgeoises du XIXe et XXe siècles passionnées et amatrices de peinture, d’art et de littérature. Ce récit aurait de quoi alimenter un roman de Daphné du Maurier ou une histoire policière à la Agatha Christie. Certaines pièces de la maison sont sources de fantasmes pour les artistes qui ont résidé dans les lieux. Parmi eux, la bibliothèque Smith-Lesouëf a une place de choix. Elle revient dans plusieurs œuvres, sous la forme de films, de tirages photographiques et de livres. Espace non ouvert aux visiteurs, la bibliothèque devient accessible uniquement par l’intermédiaire des artistes.
C’est à cet amoncellement de savoir que l’on rêve devant le film À l’étage de Jessica Warboys. Ambiance à la Bergman, un rideau vert de velours épais solennise le décor de théâtre que l’artiste met en scène. Le film présente des prises de vue et des plans fixes de photographies tirées du fonds du studio Helene Vanel. Elles remémorent les soirées surréalistes où étaient mises à l’honneur la poésie et la danse. Tout se confond alors, les souvenirs des sœurs Smith, leur grande bourgeoisie et leur belle bibliothèque, le fonds photographique, la chorégraphie, le cinéma et le théâtre. On s’enveloppe dans cette chaleureuse histoire rassurante et bienveillante où la culture devient berceau. L’ensemble de l’accrochage joue un rôle dans l’ambiance que dégage l’exposition. Subtilement pensée, elle alterne entre espace confiné plongé dans le noir et ouverture vers la lumière du jardin. Est-ce simplement dû à la chance du visiteur qui, venu aux premières heures du printemps, a pu voir le soleil transpercer l’ouverture vitrée permettant aux œuvres de Xavier Antin d’entrer en dialogue avec les peintures de Madeleine Smith ? Le titre de l’exposition semble tenir tout son sens dans cette seule et unique salle où deux œuvres discutent à la lueur d’une fin d’après midi de mars.
On entend la conversation d’une peintre amatrice installée dans son jardin, peignant les couleurs des fleurs qui se renouvèlent, et le motif sur tissu de l’artiste contemporain. On pourrait s’arrêter là dans l’exposition. C’est d’une simplicité remarquable. Cela ne dit rien d’autre que ce qui est déjà. L’exposition laisse néanmoins quelques questions en suspens, notamment le rôle des résidences en France, leur impact réel sur la pratique d’un artiste ainsi que leur intérêt. Ainsi, si certains espaces de la maison sont fascinants, on peut voir aussi qu’ils sont l’unique ressource proposée aux artistes. Contraint par l’exercice, ils se prêtent au jeu bon an mal an. Lorsque leur pratique le leur permet et que l’inspiration vient, l’œuvre n’en est que meilleure.
Néanmoins, certains cherchent à éviter cette contrainte. C’est ainsi que Xavier Antin préfère déplacer son atelier dans la maison quand la résidence semble ne rien lui apporter. En effet qu’en est-il des artistes dont la pratique est purement celle de l’atelier ? Le peintre pourra peindre sur le motif certes, mais le sculpteur doit-il amener l’ensemble de ses outils pour ici trouver sa place ? Doit-on nécessairement avoir une pratique nomade lorsqu’on est artiste contemporain ? Pour pouvoir produire, il faudrait sans cesse courir d’une résidence à l’autre et ainsi asseoir une légitimité. Enfin on pourrait se demander si l’artiste se doit de produire pendant cette période ? Est-il même obligé de penser à sa pratique ? La résidence pourrait être cet espace et ce temps mort pendant lequel le résident s’offre à loisir au plaisir de l’oisiveté. Tout comme le critique, l’artiste ne devrait pas se soumettre à s’inspirer de quelque chose qui ne l’inspire pas. La page blanche est nécessaire pour celui qui souhaite voir la suivante se remplir. Laissons aux prochains résidents le soin de nous raconter ce qu’il adviendra de ce récit.
Avec : Xavier Antin, Bastien Aubry et Dimitri Broquard, Jean-Marc Ballée, Anne-Lise Broyer, Mimosa Echard, Jason Glasser, Tamar Guimarães et Kasper Akhøj, Harmen Liemburg, Barbara Manzetti, Catherine Poncin, Natascha Sadr Hadghighian, Madeleine Smith-Champion, Frédéric Teschner, Jessica Warboys
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- Du même auteur : La vérité n’est pas la vérité. , Gyan Panchal, Rien ne nous appartient : Offrir, Corentin Canesson, Matérialité de l’invisible,
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