The real show
CAC Brétigny,
Commissariat : Agnès Violeau & Céline Poulin
16.01.2022 – 16.04.2022
Le centre d’art contemporain (CAC) de Brétigny accueillait la première occurrence de « The real show », qui en appelle d’autres à différents endroits du monde. La proposition imaginée par Agnès Violeau et Céline Poulin fonctionne sur le concept de Copyleft[1]. À Brétigny s’expérimente l’épisode pilote d’une série qui fait écho à un modèle de série télévisuelle ou cinématographique pouvant facilement évoluer en spin-off, prequel ou reboot à mesure que l’exposition voyage. Le même protocole sera appliqué à chaque nouvelle étape, chaque nouvel épisode, de Metz à Riga, de Bucarest à Ostrava. C’est donc cette conception protocolaire qui régit l’exposition itinérante d’un nouveau genre, rendant par conséquent obsolète la monstration à l’identique des mêmes œuvres. « The real show » dessine une enquête sur les mécanismes de la popularité et de ses représentations qui prend place aussi bien au sein du centre d’art qu’en ligne et dans l’espace public à travers des podcasts, des vidéos, des performances, des émissions et des éditions. Si les spectateurs veulent voir des images qui reflètent leur réalité, les distorsions des médias et le rythme effréné de la technologie numérique ont déformé les paramètres mêmes de ce que la réalité englobe. L’exposition montre comment les gestes populaires circulent et se transforment en instruments culturels plus larges. Les plateformes numériques façonnent et remodèlent ainsi l’imaginaire collectif.
Tout à la fois inclusif et réflexif, ce premier opus porte sur notre écosystème de représentation. À Brétigny, les artistes mettent en scène des formats médiatiques qui, du talk-show au tutoriel en passant par la réunion politique, permettent d’en révéler les dangers idéologiques comme les principes émancipateurs à l’œuvre dans les pièces d’Hannah Black ou de Martha Rosler. L’artiste norvégienne Hanne Lippard travaille autour du langage qui est à la fois sujet et médium principal de sa pratique artistique, explorant les formes sociales de la parole. « Anonymities » (2017), installation sonore immersive composée de six haut-parleurs, ouvre l’exposition. Son articulation du mot « anonymat » devient de plus en plus étrange à mesure qu’elle en déplace les syllabes. Cette procédure de répétition, de phonation et de dilution laisse entendre d’autres sons et d’autres usages au sein d’un même mot, faisant de la voix un outil d’émancipation autant que d’emprise.
La vidéo « Rooftop routine » est inspirée à Christian Jankowski par sa voisine new-yorkaise, Suat Ling Chua, qu’il observe en secret faire du hula-hoop sur le toit d’en face. On la voit pratiquant sa routine au rythme entêtant d’une chanson pop chinoise. De toits en toits, l’exercice se propage de façon virale jusqu’à une douzaine de personnes, par mimétisme cependant, chaque personne ne voyant que celle dont elle reproduit les gestes. La chorégraphie se délite ainsi au fur et à mesure que la caméra s’éloigne. Plusieurs cerceaux praticables placés dans l’espace d’exposition devant le film invitent le visiteur à prolonger l’action. Celui-ci tente alors de reproduire les gestes à l’identique. La nature collaborative et l’aspect ludique répondent aux mêmes principes que les tutoriels youtube. L’œuvre explore la relation entre la création communautaire et les corps individuels, attestant de la porosité entre le monde des images et celui des corps, comme dans la chorégraphie sociale performée par Santiago Mostyn dans la vidéo « Delay ». La normalisation des comportements à travers l’image n’a pas attendu l’avènement des réseaux sociaux, ce que rappelle la série de photographies « La cultura de la Felicitad » (1971) de l’artiste argentin Luis Pazos. Cinq images donnent à voir des personnes qui discutent, une famille, un couple au lit ou sur un banc. Tous sont affublés d’un « masque du bonheur » découpé dans une simple feuille de papier blanc, laissant apparaitre un large sourire figé et immuable. Derrière cette standardisation d’un certain mode de vie traditionnel et familial promu par la publicité, l’injonction au bonheur annonce déjà la dictature à venir. Dans la vidéo en noir et blanc « Semiotics of the kitchen » (1975), Martha Rosler remet en question l’image domestique de la cuisine en parodiant avec beaucoup d’humour une émission culinaire.
Un présentoir de revues expose des exemplaires de « Narrative machines », fausse publication de l’artiste marocaine Ghita Skali[2], réellement traduite en anglais par google, invoquant la pseudoscience, le bien-être et les tropes de magazines féminins. Tandis que la vidéo « How to hack a democracy » (2021) de Virgile Fraisse, centrée sur le lanceur d’alerte Christopher Wylie, est diffusée en boucle. L’un comme l’autre soulignent l’importance des mécanismes de la construction de l’opinion. Réflexion sur les dispositifs de la parole, « The Big conversation space[3] » invite à nous interroger sur le rôle de la parole, de l’échange et de la reconnaissance des voix dans les conceptions et les réalités du « populaire » aujourd’hui, en ce moment critique où la notion de « popularité » est aussi problématique qu’ambivalente dans nos sociétés – pour la politique, la santé publique, l’information, la démocratie, la création et la santé mentale. Ainsi cumulées, les œuvres exposées à Brétigny reflètent de façon éloquente les mécanismes qui induisent les comportements sociétaux. Si l’imagerie qu’elles convoquent pour mieux en faire la critique est souvent drôle, elle n’en est pas moins effrayante. « The real show », exposition polyphonique, invente un espace nouveau, un interstice dans lequel la scène et l’intime se rejoignent.
[1] Introduit au cours des années soixante-dix pour désigner une forme des licences de propriété intellectuelle, le terme de Copyleft est un jeu de mot construit par opposition au terme de Copyright. Il s’agit de l’autorisation donnée par l’auteur d’un travail soumis au droit d’auteur (œuvre d’art, texte, programme informatique ou autre) d’utiliser, d’=’étudier, de modifier et de diffuser son œuvre, dans la mesure où cette même autorisation reste préservée.
[2] En collaboration avec Ayla Mrabet et Kaoutar Chaqchaq.
[3] Clémence de Montgolfier & Niki Korth
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Image en une : Vue de l’exposition «The Real Show». Commissaires: Agnès Violeau et Céline Poulin, assistées d’Ariane Guyon. CAC Brétigny, 2022. Photo: Aurélien Mole.
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- Du même auteur : Helen Mirra, Yona Friedman et Cécile Le Talec, Roman Signer, Angela Bulloch, Thomas Ruff,
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