Vincent Honoré (1975-2023)
Directeur de la programmation et des expositions au MO. CO. (Montpellier Contemporain), Vincent Honoré est décédé brutalement le 29 novembre dernier à l’âge de quarante-huit ans. Son corps a été retrouvé sans vie à son domicile. Il avait participé à la mise en place du MO. CO. initié par Nicolas Bourriaud. Avec sa disparition, une page de l’art contemporain se tourne définitivement dans la cité montpelliéraine.
Vincent Honoré était très estimé. La nouvelle qui s’est rapidement répandue sur les réseaux sociaux a fait l’effet d’une onde de choc. Nombre d’artistes, de curateurs, de personnalités du monde de l’art contemporain qui ont collaboré avec lui, ont tenu à lui rendre hommage, saluant son professionnalisme ainsi que l’influence qu’il a exercée sur eux, louant l’impact de sa réflexion et de sa programmation. Né à Bar-le-Duc dans un milieu ouvrier, l’homme est un transfuge de classe. Il expliquait : « Les questions sociales sont au cœur de ce que je fais, et notamment de la manière dont je gère les équipes. Je les veux les plus diverses possible, non par esprit de revanche, mais parce que ça permet une grande richesse de dialogue ». Il débute sa carrière au Palais de Tokyo en 2001 au moment où l’institution parisienne prépare son ouverture officielle qui a lieu le 22 janvier 2002. Le centre d’art contemporain vient tout juste d’être créé et ses deux co-directeurs se nomment Jérôme Sens et Nicolas Bourriaud. C’est ce dernier qui, des années plus tard, le fera venir à Montpellier. Honoré quitte le palais en 2004 pour rejoindre la Tate Modern à Londres où il travaille de 2004 à 2007 sur des projets avec notamment Jeff Wall, Pierre Huyghe, Carsten Höller, John Baldessari, Catherine Sullivan, ou Louise Bourgeois.
En 2008, il est nommé directeur artistique et le commissaire en chef de la David Roberts Art Foundation (DRAF) à Londres dont il assure l’ouverture, en faisant un pôle centré sur la recherche, la production et la performance, un espace international d’échanges qu’il dédie aux expérimentations critiques en invitant des artistes tels Oscar Tuazon, Jason Dodge ou Keren Cytter, et des commissaires parmi lesquels Mihnea Mircan, Raimundas Malasauskas ou Mathieu Copeland. Il développe un programme de performances et d’événements publics en ouvrant sept ateliers d’artistes et en développant une collection de plus de mille six cents œuvres. On lui doit aussi la création de Drawing Room Confessions, journal dédié aux artistes contemporains basé uniquement sur l’art de la conversation, dans la tradition du questionnaire de Proust, des jeux de société des surréalistes, etc., chaque numéro étant entièrement consacré à un artiste et dépourvu d’image, et divisé en six sections distinctes : The Egoist, The Blind Man, Two to Tango, Ekphrasis, Time Line et La Madeleine, qui en constituent les règles du jeu. Douze numéros seront publiés de 2011 à 2017, de Charles Avery à Stuart Brisley, en passant par Miriam Cahn, Benoit Maire, Sarah Lucas ou encore Alexandre de Cunha.
Invité au Magasin CNAC de Grenoble en mai 2011, Vincent Honoré est commissaire de l’exposition « Tableaux », réunissant vingt-et-un artistes autour des notions de tableaux et de peintures. En résidence curatoriale à la Kunsthalle de Mulhouse pendant la saison 2011-2012, il imagine, tel un projet unique déployé sur une année, un cycle de trois expositions dont deux monographies – Benoit Maire et Simon Starling –, sur la question du savoir comme une forme en soi, une forme hétéroclite à travailler, à exproprier, dont les artistes s’emparent, un savoir à l’origine emprunté à la philosophie, aux sciences, à l’architecture, etc. Une édition intitulée « Des savoirs bouleversés – Unsettled Knowledge » assure le quatrième et dernier volet du cycle. « Prendre connaissance, c’est prendre position » écrit-il dans la note d’intention du projet curatorial.
En 2017, il est nommé par le Centre d’art contemporain de Vilnius directeur artistique de la 13ème Baltic Triennal, manifestation dédiée à la jeune création qui se déroule l’année suivante et qu’il envisage « sous l’angle de la fluidité de l’appartenance et de la flexibilité de l’identité ». Pour marquer le centenaire des pays baltes – qui ont tous retrouvé leur indépendance entre 1917 et 1918 par rapport aux empires allemand et russe –, cette édition a eu lieu, pour la première fois, dans trois institutions, chacune représentant un pays : CAC Vilnius (Lituanie), Kim Riga (Lettonie) et CCA Tallinn (Estonie). Honoré s’entoure de jeunes curateurs parmi lesquels Cédric Fauq, aujourd’hui commissaire en chef et responsable du service des projets au Capc musée d’art contemporain de Bordeaux, ou encore Anya Harrison qu’il fera venir plus tard au MO. CO. « Je suis pressé d’entamer une réflexion collective sur les notions d’infiltration, de déplacement et d’hybridation comme formes de production. J’attends de la triennale qu’elle soit une place du désordre, explorant les définitions et les identités à travers l’action » disait-il. « Les pays baltes me sont apparus comme le paradigme des identités polyphoniques qui émergent également dans beaucoup d’autres pays depuis les années 1990 ». L’année suivante, il assure la direction artistique du Pavillon du Kosovo à la Biennale de Venise 2019, autour d’un projet sur les mémoires de guerre avec l’artiste Alban Muja.
Vincent Honoré rejoint la Hayward Gallery en tant que senior curator. Là, il développe un programme de performances et d’expositions consacrées plus particulièrement à la question décoloniale, ainsi qu’aux problématiques de genre et de classe, comme en témoignent les expositions « DRAG: Self-portraits and Body Politics » en 2018 et « Kiss My Genders » en 2019. Après quinze ans passés à Londres, Vincent Honoré quitte la Hayward Gallery pour rejoindre Montpellier et participer, à l’invitation de Nicolas Bourriaud, à l’ouverture d’un nouveau centre d’art contemporain, le MO.CO., comprenant deux espaces d’art contemporain – la Panacée, comparable à un centre d’art, et l’Hôtel des collections qui est plus institutionnel – et une école des beaux-arts. En tant que directeur des expositions et des programmes, il a la charge de tous les aspects artistiques, et présente des expositions monographiques et thématiques tels que « Posédé.e.s » (2020-21) autour du rapport entre l’ésotérisme et l’art contemporain, « L’épreuve des corps » (2021-22), qui donnait à voir le corps comme moyen d’expression, d’expérience, et de recherche formelle et esthétique, ou encore « Musées en exil » (2022-23) qui explorait l’histoire de trois collections singulières : le Musée International de la Résistance Salvador Allende (MIRSA), conservée au Museo de la Solidaridad Salvador Allende du Chili ; Ars Aevi, la collection du Musée d’art contemporain de Sarajevo ; ainsi que celle rassemblée pour le futur Musée National d’Art Moderne et Contemporain de Palestine, actuellement déposée au musée de l’Institut du monde arabe à Paris. Le Mo. Co. s’est construit en inventant un écosystème propre au territoire : « Ce musée ne nous appartient pas, c’est le public qui le fait » disait-il. Dans ce projet d’envergure, la volonté de créer quelque chose qui soit intrinsèque à Montpellier s’inscrit dans l’idée d’un décentrage, en partant du constat que les capitales ou les grandes villes européennes ou mondiales ne sont plus des espaces de validité et de validation artistiques – le covid a accéléré le phénomène –, il n’y a plus une scène centralisée mais plusieurs scènes décentrées. La particularité de l’institution tient dans cette manière qu’elle a à conserver un rapport horizontal et poreux avec les différents lieux qui la composent.
Avec ses préoccupations venant du terrain britannique que sont les enjeux de représentation et d’inclusivité, en particulier, les questions féministes, queer, et décoloniales, son engagement sans faille pour la création artistique, sa générosité et sa capacité d’émerveillement, Vincent Honoré était considéré comme l’un des meilleurs curateurs de sa génération. Il manque déjà cruellement à la scène artistique contemporaine. On se souvient de la remarquable relecture qu’il proposa de l’œuvre d’Ana Mendieta l’été dernier, la débarrassant de la narration aliénante qui lui colle habituellement à la peau. En découvrant la première exposition dans une institution française consacrée à l’artiste pakistanaise installée aux États-Unis Huma Bhabha, on ne peut s’empêcher de voir, dans les figures anthropomorphes et hybrides qu’elle compose, faisant référence aussi bien à la sculpture antique qu’aux films de science-fiction, le reflet de celui qui, une dernière fois, en assure le commissariat. « Une mouche est apparue et disparue ».
1 Cité dans Stéphanie Lemoine, « Vincent Honoré – Mo.Co », L’œil, 28 mars 2022, https://www.lejournaldesarts.fr/creation/vincent-honore-moco-159846
2 Cité dans Ingrid Luquet-Gad, « Baltic Triennal 13 témoigne d’une scène émergente et turbulente », Les Inrockuptibles, 5 octobre 2018, https://www.lesinrocks.com/arts-et-scenes/baltic-triennal-13-temoigne-dune-scene-emergente-et-turbulente-177822-05-10-2018/
3 « Vincent Honoré nommé commissaire de la Baltic Triennal 2018 », Le Quotidien de l’Art, n°1220, 1er février 2017.
4Ingrid Luquet-Gad, op. cit.
5 Emmanuelle Lequeux, « Vincent Honoré (Mo.Co) : ‘Ce musée ne nous appartient pas, c’est le public qui le fait’ », Le Monde, 29 juin 2019, https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/06/29/vincent-honore-mo-co-ce-musee-ne-nous-appartient-pas-c-est-le-public-qui-le-fait_5483104_3246.html
6 Guillaume Lasserre, « Ana Mendieta, le corps et le territoire », Un certain regard sur la culture/ Le Club de Médiapart, 17 août 2023, https://blogs.mediapart.fr/guillaume-lasserre/blog/170823/ana-mendieta-le-corps-et-le-territoire
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Head image : Vincent Honoré © Sandra Mehl
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