r e v i e w s

Matan Mittwoch

par Vanessa Morisset

Facing Landmarks, Micro Onde, Centre d’art de l’Onde, Vélizy-Villacoublay, 18.01 – 3.04.2020

Belle initiative de la part de ce centre d’art que de consacrer une exposition monographique à un artiste relativement peu connu en France, non par exotisme mais parce que des horizons différents peuvent amener à aborder les choses par des biais inédits. Les quelques œuvres de Matan Mittwoch présentées à Vélizy — une dizaine, on aimerait bien en voir plus, pour mieux cerner l’évolution de son travail — ont toutes pour point de départ les technologies numériques, comme sujet plus que comme médium, ce en quoi réside le grand intérêt de sa démarche. Artiste israélien basé à Tel-Aviv, Matan Mittwoch se situe thématiquement dans l’ultra-contemporain mais, formellement, voire philosophiquement, dans un rapport à l’image, aux objets, au réel, qui pourrait relever d’une conception beaucoup plus ancienne. En effet, tout en étant un geek, il n’appartient pas à la génération post-internet pour qui la culture numérique est un milieu naturel. Pourtant, il plonge dans cette culture, et notamment ses écrans, beaucoup plus que les artistes de la génération précédente tel·le·s que Wade Guyton ou même Isabelle Le Minh[1]. Sa manière à lui de s’en emparer est critique et distanciée. En témoigne l’œuvre intitulée Waste (2016), impression jet d’encre de grand format (160 x 213 cm) qui, de ce point de vue, peut s’apparenter aux images-objets des artistes précédemment cités. Avec ses éclats de lumière jaune et orange, comme dans un kaléidoscope, elle peut même être rapprochée d’œuvres abstraites plus anciennes, modernistes, de Man Ray ou d’Hans Richter bricolant des dispositifs. Matan Mittwoch lui aussi bricole mais avec l’écran de son smartphone. Ici, il a photographié des presse-papiers translucides, accessoires de bureau des années 1980, en les déplaçant sur ce bureau contemporain qu’est l’écran tactile de son téléphone, pour observer les effets que leur contact provoque. Agrandies au format tableau, ces traces issues d’un détournement de l’outil technologique forment une grande composition qui fait réfléchir à la manière dont le numérique constitue une rupture avec le modernisme (ou pas).

Cette interprétation vaut pour une autre œuvre de la même année, Step-13 (I-XV), une série de treize images réalisée en photographiant et re-photographiant l’écran à l’origine blanc d’une tablette numérique : la photographie étant transférée sur la tablette à chaque étape, apparaît alors une trame colorée, en quelque sorte la matière de l’image numérique remonte à la surface. L’opération peut rappeler certaines expériences artistiques antérieures d’épuisement d’un motif, à la photocopieuse ou en photographie argentique, comme le livre & Milk de Jonathan Monk[2], sauf qu’ici, précisément à la treizième image, le transfert de la photo à la tablette ramène à un écran blanc. L’exploration du potentiel créatif de la reproduction numérique, contrairement à ce qu’il se passe avec les outils mécaniques, mène à une boucle. Radicale différence donc. Pourtant, entre le point de départ et le point d’arrivée, les effets d’apparition et de disparition de trames géométriques ne sont pas si différents, suggérant presque quelque chose de métaphysique, caché dans la machine.

De même, la grande photographie In Other Words de 2019 donne à voir le code d’une image lambda qui, filtré et retravaillé, devient lui-même objet de contemplation. De par son apparence, l’œuvre rappelle étrangement l’Écriture rose de Simon Hantaï et partage son ésotérisme. La vidéo On line (2018) joue aussi avec un motif abstrait, ici une ligne bleue qui traverse l’écran noir d’un moniteur. On pense à une image scientifique élémentaire, celle d’une onde, d’un courant électrique, mais le son qui l’accompagne nous met sur la voie d’une interprétation plus prosaïque : il s’agit d’une corde à sauter, simplement agitée. L’œuvre semble vouloir nous prendre à partie : que voyons-nous, nous qui sommes habitués à regarder du virtuel à longueur de journée ?

Puis, Matan Mittwoch se montre de plus en plus méfiant à l’égard de la technologie, comme dans la série Patterns (2019), des tirages issus de photos trouvées sur des sites de rencontres dans des pays où ils sont interdits. Les personnes s’y dévoilent sans pouvoir être reconnues. Là encore, il s’agit d’apparition / disparition, mais moins dans un sens métaphysique qu’éthique. C’est dans ce sens que l’artiste semble aujourd’hui travailler. La sculpture au centre de l’exposition dont le titre, Facing Landmarks, a été repris pour l’ensemble, invite à le penser. Il s’agit d’une pièce imposante qui traduit par des formes abstraites, par analogie, la manière dont procèdent les algorithmes de reconnaissance faciale[3]. Mais ici les formes sont à terre, comme si ces systèmes s’étaient effondrés, vision utopique certes un peu naïve que l’on aimerait pouvoir partager. Reste que dans le travail de Matan Mittworch, l’abstraction brouille l’information, ce qui semble être une piste à suivre, tant du point de vue de l’esthétique que de l’éthique.


[1]   Voire mon compte rendu dans ce même numéro de son exposition « Not the End » au CRP de Douchy-les-Mines.

[2]   Jonathan Monk, & Milk, Cologne, Walther König, 2004, dont le titre complet est Today is just the Copy of Yesterday, livre pour lequel il a photographié plus de quarante fois la photographie d’un verre de lait…

[3] Sur son site il révèle dans le détail ce fonctionnement, cf. matanmittwoch.com.

Image en une : Matan Mittwoch, Facing Landmarks, 2020. Photo : Aurélien Mole & Matan Mittwoch