2020 Verbier Art Summit
31.01 – 1.02.2020
Nichée au fin fond d’une vallée qui prolonge l’axe du Léman vers l’Est, Verbier est plus connue pour la qualité de son domaine skiable que pour sa peur de manquer de quoi que ce soit. Mais ne vous y trompez pas, même l’opulente confédération helvétique qui semble disposer de toutes les ressources en abondance est soumise aux affres de la raréfaction : le dégel spectaculaire qui affecte le pergélisol suscite l’effroi au pays de la fondue et inquiète autant du côté des glaciologues qui voient la masse des glaciers se réduire comme peau de chagrin (exit bientôt les pistes noires et la manne de l’or blanc) que de celui des sismologues, la Suisse étant placée au cœur de l’activité sismique de l’Europe et la fonte des glaciers alpins, en libérant des volumes considérables, risque tout simplement de créer les conditions d’un Big One. Si, à première vue, la thématique de cette édition du Verbier Art Summit, Resource Hungry , semble ne pas être trop en phase avec le pays et la ville qui l’accueille, (on l’imagine mieux à Bamako ou a Phnom Penh), elle se révèle au final pas si déplacée que cela si l’on considère qu’il n’existe plus vraiment de zones à l’abri des conséquences de la transition climatique (qui apparaît de fait comme la thématique en creux de ce sommet). Les intervenants qui se sont succédé au cours de ces deux journées n’ont eu de cesse de s’interroger sur la capacité de l’art et des artistes à proposer des solutions pour remédier à la crise climatique et aux conséquences sur la disponibilité des ressources que cette dernière fait peser sur les populations. Partagé entre un contingent d’artistes et de théoriciens, le colloque a rassemblé les paroles de personnalités toutes soucieuses d’apporter leur eau au moulin de la résilience planétaire, sous la houlette de Jessica Morgan, directrice de la Dia Art Foundation qui a rappelé à juste titre que la fondation avait été créée pour soutenir et conserver en l’état les productions des land artists qui avaient toujours cherché à instauré un « dialogue avec la nature » bien qu’il faille rappeler que toutes les œuvres du Land Art n’avaient pas forcément une dimension écologique, la notion d’écologie n’ayant émergé dans son acception actuelle de protection des milieux que bien plus tard. Face à une crise mondiale qui affecte tous les pans de l’activité humaine, l’action de l’art en faveur de la protection des ressources et de la lutte contre le réchauffement semble pour le moins assez dérisoire et surtout, comme l’a magistralement démontré Dorothea von Hantelmann, historienne et philosophe, l’art n’est pas la solution au problème, il serait même, au contraire, une partie du problème, en contribuant de manière non négligeable à l’extrême degré d’individualisation qui caractérise notre époque post-capitaliste, qu’en favorisant ce rapport individuel à l’œuvre, il n’a fait qu’accompagner voire engendrer. Dans ces conditions, c’est tout l’aspect systémique de notre rapport aux œuvres qu’il faudrait repenser. Von Hantelmann est rejointe en cela par la philosophe brésilienne Djamila Ribeiro qui revient sur les possibilités de conscientisation des populations qui, pour elle, sont indissociables des luttes décoloniales et de la mise en lumière de la dépossession culturelle des populations esclavagisées ; sa démonstration s’appuie sur l’exemple des communautés « prétugaises1 » au Brésil dont la culture se voit dangereusement minorée et menacée de pure disparition dans un pays à nouveau gouverné par des dirigeants parfaitement insensibles à ces problématiques. Face à ce constat d’une nécessaire prise de conscience à l’échelle planétaire et de l’articulation qu’il existe entre société ultra libérale, individualisme forcené et passage de tous les voyants au rouge, la position de l’architecte suisse Philippe Rahm vient apporter une touche iconoclaste quand il rappelle opportunément que le problème n’est pas celui de la ressource mais plutôt celui du réchauffement climatique qui est dû essentiellement à la libération du CO2 dans l’atmosphère et que ces émissions proviennent principalement de bâtiments insuffisamment isolés et mal conçus du point de vue de la circulation de la chaleur. Se réclamant d’un nouveau paradigme architectural, il prône un rapport renouvelé à la construction qui intéresse également la conception du white cube. Adrian Lahoud, doyen de l’école d’architecture de Londres, fut le curateur de la première triennale d’architecture de Sharjah dans laquelle il présenta le fameux Ngurra Canvas, œuvre collective majeure de la culture aborigène réalisée en 1996 par 90 artistes et qui déploie les principaux standards de la peinture aborigène, reliant les mythes fondateurs de l’Australie à la préservation du vivant, une conception qui pourrait bien représenter une source d’inspiration pour repenser en profondeur le mode de fonctionnement de l’art contemporain occidental. Parmi les artistes invités, il faut noter l’intervention remarquée d’Andrea Bowers dont la pratique consiste entre autres en l’opposition frontale aux menées destructrices de promoteurs immobiliers sans aucune considération pour la préservation de forêts indemnes de l’activité humaine à proximité de Los Angeles : la pratique de l’artiste américaine fait penser aux luttes des opposants aux « grands projets inutiles » comme ceux de la ZAD de Nantes2.
La position de Stefan Kaegi à l’intérieur de Rimini Protokoll peut s’analyser comme une option douce face à l’activisme de Bowers : dans ses mises en scène sans acteurs, l’artiste cherche à mettre le spectateur en situation afin de le sensibiliser plus efficacement. Ces deux positions, éloignées mais complémentaires, représentent en l’état le meilleur de ce que l’on peut attendre en matière de pertinence artistique et d’effectivité des stratégies de sensibilisation au problème de la ressource. La présence de Joan Jonas, a apporté un vent de fraicheur dans cette édition du VAS. Le travail de cette jeune artiste de 83 ans, pionnière de l’art de la performance, a témoigné avec Moving off the land l’année dernière à Venise d’une attention particulière à l’endroit des enfants et des animaux, de l’océan : une sensibilisation qu’il est indispensable de faire partager aux plus jeunes afin que les nouvelles générations intègrent au plus vite le respect de l’autre et l’idée d’un devenir commun planétaire. Telle pourrait être une des pistes de réflexion pour résoudre le lancinant problème de la ressource.
1 Prétugaises est un néologisme qui désigne les communautés issues de la colonisation portugaises au Brésil.
2 La ZAD, acronyme de Zone à Défendre fut le terrain d’une résistance collective acharnée à l’implantation d’un second aéroport près de la ville de Nantes sur une zone humide.
Image en une : Jessica Morgan et Joan Jonas, 2020 Verbier Art Summit, ©Alpimages
- Publié dans le numéro : 93
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- Du même auteur : Arcanes, rituels et chimères au FRAC Corsica, 9ᵉ Biennale d'Anglet, Biennale de Lyon, Interview de Camille De Bayser, The Infinite Woman à la fondation Carmignac,
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