r e v i e w s

Camille Tsvetoukhine

par Frédéric Emprou

Sorry, I’m Not Photogenic, je préfère les contacts physiques… 

Les Bains-Douches, Alençon, 1.12.2018—20.01.2019

« Le “Camp” nous propose une vision comique du monde. Une comédie, ni amère, ni satirique. Si la tragédie est une expérience d’engagement poussée à l’extrême, la comédie est une expérience de désengagement, ou de détachement1. »

Citer Susan Sontag et cet extrait tiré de son fameux«Notes on Camp »pour évoquer l’exposition de Camille Tsvetoukhine aux Bains-Douches d’Alençon, vaut par la tonalité et les postures que déploie « Sorry, I’m Not Photogenic, je préfère les contacts physiques… ». Entre agencement et ornement, carnavalesque et décoratif, le caractère acerbe et mordant que l’on retrouve dans l’intitulé du solo show de la Parisienne se décline selon un display séduisant, brassant préciosité et low tech, volumes et mobilier, masques et portraits, réminiscences primitives et formes antiques. « L’art “camp” est, le plus souvent, un art décoratif qui met plus particulièrement en relief la forme, la surface sensible, le style, au détriment du contenu2. »

Au travers de cette esthétique du fragment et de l’étrangeté, l’artiste confectionne une logique de l’assemblage, conjuguant une mise en scène entre le cadavre exquis et le mélange de textures et de références.Ce travail de composition et de mise en réseau d’histoires ou de trames issues de la littérature ou du cinéma contribue à la création d’un récit hybride et flottant que l’artiste réinvestit selon les occasions, lectures ou expositions. S’échafaudant par indices et traces où s’opèrent superpositions et imbrications, l’œuvre de Camille Tsvetoukhine tient de ce que l’on pourrait appeler une archéologie narrative.

Céramiques et costumes, slogans et lettrages textiles, figures récurrentes dans sa production, prennent la forme ici d’un vaste tissu générique, rappelant cette « activité de parodie masquée » du textedont parlait Barthes3. Science du détournement version baroque, c’est dans ce sens qu’il faut voir là l’idée de légendaire chezla Française : l’élaboration d’une mythologie d’un nouveau genre que l’artiste mène comme une entreprise iconoclaste depuis déjà quelque temps.

Face à une dizaine d’aquarelles sur fond bleu vif, la navigation dans l’exposition procède du déchiffrage de signes au travers de chromos psychédéliques : usage de couleurs naïves, luxuriance visuelle, folklore mutant, un onirisme qui s’offre comme autant de visions chimériques au sens propre comme au figuré. Les motifs de l’œil et de l’iris deviennent les métaphores d’une lecture croisée et cachée où « le langage se lit au moins comme double », selon la formule de Kristeva4. Si Camille Tsvetoukhine affectionne les figures de la métamorphose, c’est qu’elles développent paradoxes et renversements.

Élément satellite aux œuvres présentes dans l’exposition, la nouvelle Are You Real? écrite par l’artiste se propose comme angle d’entrée pour passer de l’autre côté du miroir, multipliant mises en abyme, échos et décalages ainsi qu’autres effets carolliens de la représentation : le récit à la première personne de Larvatus (protée qui fait écho à la citation d’Ovide de l’artiste dans sa précédente exposition à Zoo galerie) prend la forme d’une enquête policière en huis clos fantasmagorique. Écoutant l’artiste qui dit s’être récemment intéressée au régime des images à l’heure des réseaux sociaux, à l’ère du stalker dématérialisé comme à la notion de société de la transparence et à une certaine perte de la notion critique quant aux flux médiatiques et contemporains, le titre de son exposition prend alors un éclairage tout différent. Derrière la phrase à la fois directe et narquoise,« Sorry, I’m Not Photogenic, je préfère les contacts physiques… » s’appréhende comme une métafiction au mauvais esprit qui convie le spectateur à un rêve absurde peuplé d’artefacts et de narrations gigognes.

Scripte improbable, Camille Tsvetoukhine manie une écriture inclusive qui emprunte des fictions qui s’enchâssent les unes dans les autres, ouvrant des temps et des dimensions intermédiaires, de même qu’il s’agirait de perspectives en dédales. À l’image de ces différents croisements plastiques ou traitements formels, tels des lignes de fuite qui interrogent l’idée de virtuel, à la question posée Are You Real?, l’artiste semble esquisser cette réponse, à l’instar de son univers composite et déraillant : « en parallèle… »

Susan Sontag, « Notes on Camp », Partisan Review, Dec1964.

Ibid.  

3 Roland Barthes, Le grain de la voix. Entretiens (1962-1980), Seuil, 1981.

4 Julia Kristeva, Sèméiotikè, Recherches pour une sémanalyse, Seuil, 1969, p. 85

Image en une : Camille Tsvetoukhine, Fantasmagorie du sourire positif, 2018. Céramique émaillée, plumes de paon.


articles liés

9ᵉ Biennale d’Anglet

par Patrice Joly

Secrétaire Générale chez Groupe SPVIE

par Suzanne Vallejo-Gomez