r e v i e w s

Dana Michel & Yoan Sorin

par Frédéric Emprou

Slash Universe, CAC Brétigny 13.10 — 15.12.2019

Inaugurant le nouveau cycle de programmation du CAC Brétigny Esthétiques de l’usage, usages de l’esthétique : premier mouvement, l’artifice, l’exposition « Slash Universe »organisait, sur une proposition de Marie Bechetoille et dans une scénographie de Romain Guillet, un duo entre l’artiste Yoan Sorin et la chorégraphe danseuse canadienne Dana Michel. Marque d’une pratique curatoriale mettant en avant le projet collectif et l’idée d’équipe, l’échange et la conversation dans l’élaboration d’une exposition, « Slash Universe »développe le format gigogne, l’idée de pluriel et d’identités complexes qui va de pair avec la façon collaborative de travailler de Yoan Sorin et Dana Michel, habitués depuis une douzaine d’années à intervenir l’un et l’autre dans leurs projets respectifs.

Réunion de ces différents prismes et imbrications — à l’image de son titre, renvoi au guitariste iconique du groupe Guns N’Roses, Slash, et à un dessin animé intitulé Steven Universe — l’exposition s’apparente au collage, mêlant citations liées à la pop ou la low culture, orchestrant une dérive des statuts, à l’instar de sa grande fresque peinte aux formes semi abstraites. Carnavalesques dans leur facture, les sculptures de papier mâché de Yoan Sorin se déclinent selon l’esthétique de l’ersatz et de l’assemblage, de l’ornementation de pacotilleet de la customisation débridée. Si la pratique de l’artiste participe du bricolage et d’une conception composite, en écho à la pensée du divers de Victor Segalen, au-delà de la question d’une identité qui ferait image, c’est bien cette idée de textures et d’attitudes, ainsi que du matériau autobiographique, qui fait le liant entre Dana Michel et Yoan Sorin. Ensemble de références communes, manière de vivre une relation amicale déplaçant l’intime dans le champ professionnel ou artistique : l’un comme l’autre proposent un principe de contamination ou de reconnaissance, de partage d’univers et de mise en relation, un travail de sape par l’intérieur d’un regard porté sur des natures plastiques et des rôles ou des rapports figés et univoques.

Placée sous le signe de cette porosité des points de vue, « Slash Universe » s’ouvrait par une performance d’une heure des deux solistes à la manière d’un parcours dans l’exposition activant l’espace comme une façon de se fondre dans un décor. Brouillant les pistes entre les rapports de display et de scène, d’accessoires et d’œuvres, de white cube et de black box, Yoan Sorin et Dana Michel évoluaient au gré d’une improvisation et d’une gestuelle expérimentale mimant le rébus ou la déambulation. Traversant et dépliant les frontières entre l’idée de pratique et de lieu dédié, les notions de discipline et de champ, les contours entre l’art et la vie, Yoan Sorin et Dana Michel proposaient d’interroger les habitudes de réception en bougeant les lignes : faire étirer les temporalités et les limites à la façon d’un espace qui contre joue les différentes grilles de lecture et les termes des genres, d’exposition et de performance, de spectaculaire et de diffus.

Pendant deux mois, l’espace de « Slash Universe » s’appréhendait selon la forme protée, théâtre d’ateliers et lieu ouvert ou de passage en voisinage avec le lycée et la médiathèque, pour se clore par une seconde et ultime intervention du duo. Prétexte aux glissements et à une non-définition des registres, à travers une logique d’addition des dimensions, l’exposition jouait avec le visible et le furtif, la perte et la confusion des repères, à l’image de la scénographie de Romain Guillet remodelant l’espace du centre d’art.

Renversement généralisé quant à la perception des séquences, à la façon d’une performance sans fin, « Slash Universe »tenait de la composition non autoritaire et aléatoire, fiction utopique dans ses réagencements, multipliant les échos et les boucles, rediffusant captations et images en mouvement en surimpression. Déclenchant décalés et décalages selon des temps différés qui déroutent les principes d’activation et de vision d’une exposition dans un centre d’art, Yoan Sorin et Dana Michel organisaient l’endroit d’un déplacement continuel, à l’instar d’une « colonisation par les murs» ou d’une occupation à déranger l’espace comme un chez soi. Ponctuation iconoclaste ou entreprise de déconstruction narquoise de la manière dont nous codifions ce qui est donnée à voir, « Slash Universe », selon un déroulé au fil fractal et discontinu, questionnait le regard du spectateur à la façon d’une théorie du chaos ou d’un « monde du milieu2 ».  

1 Yoan Sorin, entretien, 2019.

2  Breyten Breytenbach, Le Monde du milieu, Actes Sud, 2009.

Image en une : Dana Michel et Yoan Sorin, Slash Universe I, dimanche 13 octobre 2019, performance dans le cadre de l’exposition « Slash Universe », CAC Brétigny. Photo : Fanny Trichet.


articles liés

9ᵉ Biennale d’Anglet

par Patrice Joly

Secrétaire Générale chez Groupe SPVIE

par Suzanne Vallejo-Gomez