A Republic of Art
Van Abbemuseum, Eindhoven, Pays-Bas, du 27 juin au 4 octobre 2015
« Une République d’Art » présente, au Van Abbemuseum, une sélection de plus d’une centaine d’œuvres en provenance des collections des vingt-trois FRACs, collections régulièrement présentées à l’étranger mais pour la première fois aux Pays-Bas où le système des FRACs est encore mal connu. Dans un pays dont le secteur culturel souffre de sévères coupes budgétaires depuis 2011, une telle exposition en devient presque politique : c’est une manière d’affirmer que les Français s’intéressent vraiment à l’art contemporain et qu’ils sont prêts à payer pour cela. Le réseau des FRACs peut être comparé au système des CBK hollandais (Centrum voor Beeldende Kunst) qui a vu le jour au début des années quatre-vingt, comme celui des FRACs. Trois décennies plus tard, il ne reste qu’une poignée de CBK. Les pressions de la crise financière et du néolibéralisme ont eu raison de cette idée d’un réseau dense d’institutions dédiées à l’art contemporain.
Étant donné l’intérêt que porte le Van Abbemuseum à la contextualisation de sa collection, à l’expérimentation dans sa présentation et à l’interpellation du public, une exposition comme celle-ci était une étape somme toute logique. Ce n’était cependant pas tâche facile pour Diana Franssen et Annie Fletcher, les curatrices de l’institution, que de travailler à partir d’un ensemble de 26 000 œuvres — en comparaison, la collection du Van Abbemuseum en compte 3 000. Elles ont ainsi conçu une sélection qui parcourt l’histoire de l’art depuis la création des FRACs.
Dans la première salle, dédiée à la décennie quatre-vingt, des œuvres de Richter, Buren, Louise Lawler, General Idea et Ben semblent avoir été réunies sous la bannière de « l’art qui parle d’art » tandis que les pièces de Sarkis, Haacke et Hains se rangent plus du côté des sujets politiques et historiques. Dans les salles suivantes, hormis Cindy Sherman, Dara Birnbaum et Orlan qui explorent les questions de genre, du féminisme, de l’identité et du corps, Renée Green et Bruno Serralongue traitent à leur manière de questions plus locales : la première s’est immergée dans l’histoire de l’esclavage nantais sur une commande du FRAC des Pays de la Loire, cependant que le second documente dans ses photographies issues de la collection du FRAC Limousin des événements comme les Courses de karts et la Fête du cheval.
Pour ce qui est des années quatre-vingt-dix, c’est le trio Gonzalez-Foerster, Huyghe, Parreno qui domine la scène en relation à l’esthétique relationnelle. Cependant, Nicolas Bourriaud n’est même pas mentionné et, du fait d’un choix d’œuvres plutôt faibles, le terme ici sonne creux. L’on découvre aussi des œuvres d’artistes vénérés dans leur contrée mais peu connus à l’extérieur, comme Raymond Hains, très présent dans les collections des FRACs. L’une des premières œuvres de Carsten Höller fait valoir le fait que de nombreux FRACs achètent des œuvres de tous jeunes artistes bien avant qu’ils ne deviennent célèbres et que leur cote ne s’affole. La très spirituelle installation d’Höller est bien loin de l’esthétique lisse et glamour qu’il affectionne désormais : un œuf en chocolat est posé sous un lit pour bébé renversé, le piège à enfant est tendu.
Pour ce qui est des œuvres plus actuelles, l’on remarque une nette ouverture du monde de l’art à des artistes d’origines géographiques plus lointaines, et des artistes aux possibilités comme aux difficultés liées à la mondialisation. Une représentation de Manhattan faite de livres qui analysent les événements du 11 septembre, deux corans pour figurer les twin towers : cette pièce de Mounir Fatmi a malheureusement trouvé un écho dans les événements parisiens de janvier dernier. Claire Fontaine déconstruit le drapeau français ; Latifa Echakhch réfléchit à l’immigration en France ; Harun Farocki compare des séquences de films d’ouvriers quittant leur usine sur onze décennies. Malgré sa belle facture, sur la fin l’exposition s’avère plus une présentation de collection classique avec quelques touches françaises. Le manque de contextualisation dessert le propos, il aurait été intéressant pour le public néerlandais d’accéder à des informations non seulement sur les œuvres mais aussi sur le positionnement des artistes, de souligner par exemple l’influence de Buren sur la peinture française, de mentionner le fait que Thomas Hirschhorn, Huang Yong Ping, Yan Pei-Ming, Chen Zhen, Sarkis, Latifa Echakhch et Mounir Fatmi viv(ai)ent en France et font partie de sa scène, d’expliciter la relation de certains artistes étrangers avec la France — le Belge Michel François enseigne à l’ENSBA de Paris depuis 2009 —, de mettre en évidence la réussite des plus jeunes Français de la sélection comme Lili Reynaud Dewar, Claire Fontaine et Latifa Echckach.
Où est la république de cette « République d’Art » ? Malheureusement, la question qui introduit le communiqué de presse : « une identité française peut-elle être déduite des collections des FRACs ? » se dissout dans l’exposition : les œuvres sont finalement très proches de celles présentées dans la section « 1980 à nos jours » des collections du Van Abbemuseum. Le point de départ en est le même : la perte d’influence du modernisme. À les comparer, la collection des FRACs semble plus orientée vers l’Europe et l’Amerique du Nord tandis que celle du Van Abbe inclut une part notable d’artistes originaires d’Asie et d’Europe de l’Est. Les similitudes entre les deux expositions montrent aussi simplement que la collection des FRACs peut tout à fait rivaliser avec celle d’un grand musée.
Il serait injuste de juger la collection des FRACs sur cette seule exposition. Cette collection apparaît tout de même très pertinente en regard de celles des puissantes fondations et des privés. Les FRACs osent encore acquérir des pièces fragiles, pas forcément élégantes, d’artistes relativement inconnus. Alors que les privés et les entreprises définissent de plus en plus le goût général et que leur influence sur la programmation des musées s’est considérablement accrue, les FRACs peuvent être vus comme un réel contrepoids, argument qui, à lui seul, justifie leur existence. Leur futur est assez incertain en regard de la réforme des régions, espérons que les Français ne prendront pas les mêmes décisions que les Néerlandais.
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