Absalon
Absalon Absalon
CAPC – musée d’art contemporain, Bordeaux, 24.06-02.01.2022
À Bordeaux, dans la grande nef du CAPC – musée d’art contemporain, une exposition collective revisite l’œuvre de l’artiste franco-israélien Absalon à l’aune d’affinités formelles et conceptuelles contenues dans une sélection d’œuvres réalisées par différents artistes de sa génération. Guillaume Desanges et François Piron, les commissaires, ont choisi d’aborder le travail de l’artiste, prématurément disparu à l’âge de vingt-huit ans en 1993, selon une approche subjective, politique et concrète, contrastant avec la lecture habituellement très théorique qui en est faite. Surtout connue pour ses cellules architecturales à la couleur immaculée, la production d’Absalon a longtemps été comprise comme la continuation d’une abstraction radicale et mythifiée, sourde aux bruits du monde qui l’entouraient. Ce discours est nuancé ici par une lecture qui prend en compte les intentions culturelles de l’artiste. En faisant la démonstration du dessein unique, presque élémentaire, autour duquel est construite son œuvre, l’exposition « Absalon Absalon » va au-delà de ce minimalisme d’apparence. Elle donne ainsi à voir un corpus plastique qui interroge continuellement l’émancipation du corps physique par rapport au corps social.
Né à Asdod, en Israël, en 1964, Meir Eschel a vingt-trois ans lorsqu’il s’installe à Paris en 1987, après avoir démissionné de son service militaire. Il se définira dès lors comme apatride, et cherchera à s’inventer un nouveau soi. Il suit le cours dispensé par Christian Boltanski à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris et prend le pseudonyme d’Absalon, en référence au personnage biblique1 associé à la rébellion et au destin tragique. Ses œuvres rencontrent un succès critique très rapide. Admis à l’éphémère Institut des hautes études en arts plastiques2, qui ouvre tout juste ses portes en 1988, il y rencontre l’artiste conceptuel américain Michael Asher, qui exercera une grande influence sur la suite de son travail.
L’exposition bordelaise présente une importante sélection de dessins, maquettes, sculptures, vidéos, plans et prototypes à l’échelle un. Celle-ci permet d’appréhender le cheminement d’un travail qui dépasse le simple domaine de l’art pour esquisser un véritable projet de vie. Les Cellules s’apparentent à des espaces vitaux et mentaux. Des maisons-cabanes, sortes de tiny houses et d’appartements dont la dimension matérielle est réduite à celle des humains. Construites suivant les proportions des mesures du corps de l’artiste, elles possèdent chacune une destination précise correspondant à six villes dans le monde – Paris, Zurich, Francfort, New York, Tel Aviv et Tokyo – et sont envisagées comme des lieux d’habitation. Ceux-ci déterminent une façon de vivre conçue sur la résistance, l’habitude, le mécanisme et la contrainte. Autant de notions non pas aliénantes, pour l’artiste, mais émancipatrices, qui conduisent à se dégager des identités assignées afin de vivre en étant soi-même.
Cette lecture nouvelle est confortée par une mise en regard avec les travaux de huit autres artistes, qui sont autant de relais vers des interrogations culturelles, spirituelles, identitaires, poétiques, affectives, cachées dans l’œuvre d’Absalon. Derrière son aspect de prime abord impénétrable, elle s’inscrirait moins dans le Zeitgeist, l’esprit du temps – ici des années 1990 – que dans un réseau de résonances politiques, formelles et sensibles. Ainsi Untitled (Chemo), de Félix González-Torres (1991), rideau de perles monumental installé au centre de la nef, qui détermine ici les espaces de l’exposition, est une délicate évocation de la maladie. Son titre renvoie au traitement des cancers liés à la perte des défenses immunitaires causées par le VIH, dont l’artiste décédera en 1996. Chacune des perles évoque une cellule qui, en se multipliant, compose une structure souple, mise en mouvement par les corps qui la traversent. Chez Absalon, comme chez González-Torres, l’acte de création répond à l’urgence et à la nécessité de témoigner pour exister. Un intérêt commun pour les gestes et sujets du quotidien se retrouve chez Alain Buffard ou Laura Amiel, pour le cérémoniel chez Marie-Ange Guilleminot – qui fut sa compagne – ou chez Myriam Mihindou, dont les objets, ici des savons, ont valeur de fétiches.
Absalon a construit pour son propre corps un espace fait à sa mesure, un espace mental. Dans l’une de ses dernières vidéos intitulée Bruits, il hurle face caméra jusqu’à en perdre la voix. Les films tournés juste avant sa mort contrastent avec le calme apparent des autres pièces de sa production. Ils rendent visible une violence dissimulée, enfouie. « Il y a d’autres mondes mais ils sont à l’intérieur de celui-ci ». Cette phrase, détournée d’une citation de Paul Éluard par Dora Garcia, s’écrit en lettres d’or sur le fronton de la nef, comme pour rappeler qu’Absalon inscrivait ses pièces dans le réel. Sa carrière fulgurante – six années à peine – laisse une œuvre inachevée qui paraît tout entière destinée à s’affranchir d’un environnement fait d’assignations et de déterminations culturelles. Elle exprime une volonté de vivre mais selon ses propres règles, une manière dissidente d’être au monde.
- Son histoire est racontée dans le Deuxième livre de Samuel dans l’Ancien Testament.
- École d’art initiée par la mairie de Paris et dirigée par Pontus Hultén, l’ancien directeur du Musée d’art moderne de la ville de Paris, sur le modèle du Bahaus allemand et du Black Mountain College américain, et comme alternative à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris. L’institut a fermé en 1995.
Image en une : Absalon, Cellule n°2, 1991, Collection Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA © Estate Absalon. Photo : Jean-Christophe Garcia
- Publié dans le numéro : 98
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- Du même auteur : 10ème Biennale internationale d'art contemporain de Melle, Jordi Colomer au Frac Corse, Gianni Pettena au Crac Occitanie, Rafaela Lopez au Forum Meyrin, Banks Violette au BPS 22, Charleroi ,
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