Ad Minoliti
« Play Theater »
CCC OD Tours
01.10.21-24.03.22
On entre dans l’installation d’Ad Minoliti comme on entre au jardin d’enfants, tant les souvenirs qu’elle convoque semblent nous y ramener invariablement. Des larges et vives bandes de couleurs qui rythment l’espace au sol, aux formes géométriques qui leur répondent sur les murs et sur les toiles, en passant par les tables triangulaires couleur mandarine, les poufs et les peluches, l’espace de l’exposition perd de sa réserve et semble s’offrir comme terrain de jeu et d’oisiveté. La nef du CCOD de Tours, baignée de lumière, a de quoi laisser de l’espace aux possibles, comme si tout y restait encore à faire (et à déranger), malgré la dimension sacramentelle et rigoureuse des églises de l’art qu’elle a pourtant.
Dans « play theater », Ad Minoliti (1980, Buenos Aires) s’efforce de penser la métamorphose du lieu, de sa forme à ses usages. Si le White Cube prétend trop souvent à la neutralité du « lieu sans lieu1 », c’est précisément, tout ce que lui refuse ici l’artiste, pour qui les œuvres ne sont pas d’absolues vérités, pas plus que les lieux qui les accueillent et qui font récits à leur entour. Son travail sur l’espace répond ainsi à un désir de déplacement. La peinture ne s’y limite pas à l’espace de la toile ; elle s’épanche en surfaces amples, qui, du sol aux murs, s’offrent à la fois comme contexte et comme contenu. Dans la lignée du mouvement Madí, dont elle revendique un certain héritage, Ad Minoliti privilégie les figures planes, les volumes géométriques et la couleur uniforme. Aux figures humaines, elle substitue des assemblages géométriques qui éludent toute distinction de genre et ouvrent sur des re-configurations infinies, des corps modulaires à la fluidité rétro-futuriste. Hétérotopie cyborg où un pavé mauve fait de l’œil à un bol de pop-corn, quand trois autres formes babèlent installées à une table en compagnie d’un petit cochon rose. Les habitant·e·s des décors miniatures saveur guimauve de « play theater » résistent aux scènes de la vie moyenne que le mimétisme et le capitalisme Mattel cherchent à leur imposer. Le genre de la scène d’intérieur est revu à l’aune des magazines de décoration des années 1960-70 et des décors Barbie que l’abstraction prend d’assaut. La simplification formelle empêche toute forme d’identification, d’assignation. Un cercle est un carré, un carré est un cercle. Se jouant des échelles – miniatures et monumentales – comme des règles et des systèmes qu’elles érigent, Ad Minoliti s’amuse de la peinture et de son histoire. « Pourquoi les œuvres devraient-elles être à la hauteur du regard ? » s’interroge l’artiste. Ainsi en va-t-il d’une série de tableaux posée à hauteur de genoux sur de grands ours en peluches avachis au sol. Lever les yeux, s’accroupir, s’allonger, se pencher. De là peut-être aussi cette sensation du retour au jardin d’enfance, où la stature verticale de l’adulte paraît symboliquement mal venue, et avec elle la présomption qu’elle a de soi. Ce n’est pourtant pas à revenir en enfance qu’invite Ad Minoliti, mais à déjouer l’inertie. Transformer le cube en un espace fonctionnel, depuis lequel bizarifier le connu, l’appris, le su. Le tout avec douceur et tendresse, à l’image de ces furries qui nous accueillent et nous accompagnent dans l’exposition.
Mûrir signifie à la fois arriver à maturité, atteindre son plein développement mais aussi devenir mou. « play theater » traduit à sa manière un désir de mollesse, où la labilité et la malléabilité constituent un horizon politique. Ad Minoliti y réénonce les conditions non pas de l’enfance, mais de possibilité de l’apprentissage, au sens de savoir se rendre mou. L’exposition accueille ainsi La Escuela Feminista de Pintura [L’École féministe de peinture], où s’entremêlent théorie et pratique, rencontres et expérimentations collectives : « L’école [y] est une anti-école. » Pour Ad Minoliti, revendiquer l’enfance, c’est tout autant faire la critique de savoirs constitués et de qui se prétend légitime à les instituer, que faire l’expérience complexe, et tout en aspérité, d’un savoir que l’on ne maîtrise pas et dont on ne prétend pas devenir maître.
1 Brian O’Doherty, White Cube – L’espace de la galerie et son idéologie, jrp-ringier, 2008. . .
Image en une : Vue de l’exposition Play Theater, Photo : Aurélien Mole
© Ad Minoli. CCC OD, Tours, 2021
articles liés
Sur la High Line
par Warren Neidich
Michaela Sanson-Braun au Carré, Château-Gontier
par Philippe Szechter
Tarek Lakhrissi à Nicoletti, Londres ︎
par Mya Finbow