Afflict the Comfortable, Comfort the Afflicted
Paul Thek
L’exposition Diver, A Retrospective est l’occasion de revenir sur la carrière de Paul Thek, immense artiste américain décédé du sida en 1988, à l’âge de 55 ans. Si Paul Thek bénéficie d’une notoriété importante et jamais démentie en Europe depuis les années 1970, c’est loin d’être le cas aux États-Unis, puisque cette rétrospective au Whitney Museum est la première à lui être consacrée dans un musée américain. Sans qu’il soit considéré comme un outsider, son travail n’a toutefois jamais été apprécié à sa juste valeur, et sa représentation dans les livres d’histoire de l’art est bien inférieure à sa réelle influence sur toute une génération d’artistes.
Dès ses débuts en 1964, Paul Thek se fait remarquer avec ses fameuses Meat Pieces (ou Technological Reliquaries), sculptures hyperréalistes réalisées en cire, et acquiert rapidement une importante notoriété, soutenu entre autres par Susan Sontag. Cependant, plutôt que de suivre une trajectoire toute tracée, il fait le choix de partir en Europe en 1967 et change radicalement de pratique. Entouré de nombreux collaborateurs au sein d’un groupe baptisé « The Artist’s Co-op », il crée d’immenses et éphémères installations, réalisées à partir de matériaux de récupération, qu’il baptise Processions. Là encore, le succès est au rendez-vous, et il expose notamment au Stedelijk Museum d’Amsterdam, au Moderna Museet de Stockholm et dans le cadre de Documenta 5, sous le patronage de Harald Szeemann. Néanmoins, à son retour aux États-Unis en 1976, le monde de l’art l’a oublié et malgré quelques expositions en galeries à Manhattan et à l’ICA de Philadelphie, il ne connaît plus jamais le succès, étant obligé de travailler dans un supermarché et de faire le ménage dans un hôpital pour survivre. Si le Whitney Museum lui consacre aujourd’hui une rétrospective, c’est que Paul Thek a été redécouvert il y a quelques années par de nombreux jeunes artistes, et que des figures majeures telles que Robert Gober, Franz West ou Mike Kelley1 l’ont cité comme une référence essentielle dans leur pratique.
Sont donc réunies à New York une douzaine de Meat Pieces, aussi incontournables que dérangeantes, qui s’imposent aujourd’hui, au même titre que les œuvres de Yayoi Kusama ou Peter Saul, comme un symbole de la contre-culture des Sixties, entre minimalisme perverti – les boîtes en plexiglas dans lesquelles sont présentés ces « morceaux » de viande réduisent les œuvres emblématiques du mouvement à de simples vitrines – et dénonciation implicite de la guerre du Vietnam. En revanche, aucune des nombreuses Processions n’est montrée dans son intégralité. Durant les année 1970, elles voyageaient de musée en musée, étaient modifiées à chaque présentation et Paul Thek ne s’est jamais soucié de leur conservation, autorisant même parfois les conservateurs à en jeter les parties les plus encombrantes. Si la frustration est grande de ne pouvoir expérimenter ces immenses installations, on peut toutefois comprendre le parti pris des commissaires, qui ont préféré n’exposer que les éléments subsistant, accompagnés de photographies documentaires. Au final, cette exposition permet de mesurer l’influence majeure de Paul Thek sur l’art américain des quarante dernières années, et apporte un éclairage nouveau sur toute une partie de sa pratique. Sa dernière exposition à la galerie Brooke Alexander Inc., réaccrochée à l’identique, offre par exemple la possibilité de découvrir des peintures où domine une sensation d’apaisement, de paix intérieure – des inscriptions telles que « Time is a River », « Dust » ou « The face of God » sont inscrites sur les œuvres – qui contraste avec la violence frontale de ses œuvres plus anciennes.
1 Mike Kelley a d’ailleurs écrit en 1992 un texte remarquable sur le travail de Paul Thek, « Death and Transfiguration », disponible sous le titre « Paul Thek, mort et transfiguration », in Art Press n°183, septembre 1993, p. 21-24.
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- Du même auteur : Oriol Vilanova, At First Sight, Il Palazzo Enciclopedico, 55e Biennale de Venise, Christopher Wool, Goldfinger, In search of everything,
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