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Apolonia Apolonia

par Benjamin Cataliotti

La peintre Apolonia Sokol est au centre d’un très beau portrait-documentaire retraçant rien de moins que treize années de sa vie d’artiste, de sa jeunesse au Lavoir Moderne Parisien à ses dernières expositions à Paris, Rome ou Istanbul. Le film, lauréat du grand prix du festival de documentaire à IDFA 2023 et candidat du Danemark pour les Oscars 2024 est en salle depuis le mercredi 27 mars 2024. 

 « Il faut aimer APOLONIA APOLONIA, triple-portrait d’artiste(s) réalisé par Lea Glob, pour ce que ce documentaire dit des sacrifices qu’on impose à celles qui courent après la reconnaissance et la liberté. Et voir combien les enjeux de réussite – artistique, politique, économique – peuvent vous piller, vous épuiser, vous écraser. Insubmersible Apolonia Sokol, que la réalisatrice du film, la jeune Lea Glob, pensait filmer quelques heures à l’occasion d’un exercice d’école, et qu’elle finira par suivre pendant treize intenses années de création, de combats et, parfois aussi, de désillusions.

Apolonia Apolonia © Léa Glob

 « Ils m’ont dit que ma personnalité était plus intéressante que mes œuvres ». Vertige inédit d’un personnage de documentaire qui soudain craint que sa malédiction, ce serait d’être un meilleur sujet de film qu’une grande artiste en soi. Fuyant ses détracteurs, Apolonia Sokol partira conquérir l’Amérique des marchands de succès fulgurants, croisant la route de quelques Barbe-bleues prêts à faire d’elle une usine à tableaux, vendus avant même d’être signés, tout ceci sous l’œil stupéfait d’une cinéaste à qui on demandera quand-même – scène hallucinante de tension – d’éteindre sa caméra au moment d’évoquer les très sensibles questions de contrat. C’est connu, au moins, depuis Goethe : on ne vend pas son âme au Diable en plein jour.

Revenue en Europe comme certains retourneraient secouer Ithaque, la peintre se libère peu à peu de toutes ses réserves pour s’émanciper autant comme qu’en tant que femme. S’agace-t-elle de voir la réalisatrice qui la filme s’épanouir dans sa vie de mère ? Cette-dernière, en retour, envie la liberté et l’indépendance que son personnage revendique à chaque instant. Mais c’est une troisième figure que les deux femmes regardent se noyer, impuissantes. Ombre cachée derrière la silhouette conquérante de Sokol, l’activiste Oksana Chatsko, icône sacrifiée du mouvement des Femen et amie intime de la peintre, se révèle être l’héroïne alternative de ce film à tiroirs, celle qu’on voit briller dans des scènes hantées par sa démarche chétive, présence lumineuse comme celle de ces lucioles qui, peu à peu, s’éteignent, en hors-champ. 

Peu importe alors les petits académismes qui parsèment l’odyssée d’Apolonia Apolonia, cette petite voix-off trop polie, trop écrite, qui semble parfois rêver un Paris de Bohème exagérément fantasmé dans les premiers temps du film. Comme son héroïne, le film grandit, et avec lui, notre amour pour une œuvre rare qui aura eu le mérite de regarder la jeunesse de l’art avec une sincérité et une fidélité étonnante. Et tant pis si ça doit nous arracher quelques larmes. »

Apolonia Apolonia © Léa Glob

Apolonia Apolonia, de Lea Glob, produit par Danish Documentary Production. En salles depuis le 27 mars 2024.
Le film fera partie du programme du festival hors champ « Attention Deficit Disorder » organisé par le centre d’art Zoo en novembre 2024.

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Head image : Apolonia Apolonia © Léa Glob

  • Publié dans le numéro : 107
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