Basim Magdy au FRAC Bretagne
The Year Spring Arrived in September
FRAC Bretagne, Rennes
03.02 – 15.05.2023
« The Year Spring Arrived in September » est une incursion sensible et intelligible dans l’univers poétique de Basim Magdy. Son esthétique naît de l’incursion du récit dans le traitement des images. L’artiste s’inscrit dans un champ élargi de la création : son œuvre se déploie sous la forme de peintures, de photographies et de films. À l’initiative d’Étienne Bernard, cette constellation visuelle et poétique fait actuellement l’objet d’une exposition au Frac Bretagne. Sans être une rétrospective, cette manifestation monographique présente une riche sélection d’œuvres de l’artiste égyptien. L’accrochage y est flottant, les œuvres dialoguent ensemble dans un dispositif de suspension qui habite le volume de la galerie. Pour le spectateur, le parcours devient une errance introspective qui l’amène, œuvre après œuvre, récit après récit, à se plonger dans un ensemble de questionnements existentiels.
Entre fiction et réalité, l’œuvre de Basim Magdy aborde subtilement des réflexions d’ordre ontologique. Le regard de l’artiste guette ces territoires inaccessibles qui nous entourent, malgré l’évolution constante de nos connaissances sur le monde : « Pourquoi je vis ? », « Quel sens a mon existence sur terre ? », « Qu’advient-il de moi après la mort ? », etc. Il ne cherche pas à maîtriser frontalement ces inconnues, mais à produire des énoncés didactiques et des images qui s’y rapportent. Basim renoue avec le geste premier et instinctif de la création de mythes : « Cette fiction était ma solution – comme elle l’est pour de nombreuses personnes. Nous créons nos propres histoires, nous inventons nos justifications, nos spectacles, nos mythes. Même la science comporte une bonne part de fiction. Elle procède toujours d’une idée qui a dû paraître aussi absurde. »
La pratique plastique de l’artiste a d’abord reposé sur une maîtrise de la peinture. Les différentes toiles exposées présentent un univers baroque qui déborde de couleurs vivifiantes. Les représentations figuratives cohabitent avec des motifs abstraits. L’esthétique picturale de Basim pourrait relever d’une esthétique singulière « néo-surréaliste ». Chaque représentation renvoie à un passé fictif ou à un futur post-apocalyptique. Elles sont peuplées d’un étonnant bestiaire hybride animalier et végétal, ainsi que de symboles syncrétiques reconnaissables comme la roue ou le cercle, l’œil, la tête de mort, le triangle, les astres, etc. Pour reprendre les mots de Mallarmé, celui qui contemple ces peintures doit entreprendre une « série de déchiffrements ».
La pratique de la peinture s’est propagée ensuite dans le travail de Magdy sous d’autres formes de production artistique, comme la photographie et le cinéma. Ces œuvres sont d’ailleurs structurellement et conceptuellement très proches de ses toiles, tant leur traitement formel produit une distance vis-à-vis de la réalité. Les différentes photographies qui composent l’installation About Coming of Age in a Trembling Place (2023), ont été réalisées sur des pellicules que l’artiste à préalablement modifiées avec des produits chimiques. L’aspect familier de ces images se trouve distancié par un filtre chromatique tantôt orangé, rosé ou bleuté. Ces séries de photographies sont également ouvertes par une phrase poétique encadrée, qui modifie légèrement leur interprétation : « I WAS IN MY EARLY TWENTIES WHEN I LEARNED THE LANGUAGE OF REGRET », « A HOUSE WAS MADE OF DEEP-FRIED LOVE », etc. De cette installation conceptuelle, il émane quelque chose de profondément nostalgique. Compte tenu d’une constante instabilité temporelle, l’œuvre parle de la complexité d’exister pleinement.
Dans les différents films de Basim, l’image est envisagée comme une fenêtre ouverte sur d’autres réalités. Ces différentes fictions possèdent un pouvoir critique à l’encontre des structures de dominations sociopolitiques. Dans le principal espace de l’exposition, trois films sont projetés. New Acid (2019) est un récit allégorique, plutôt absurde qui présente des échanges SMS entres différents animaux. Ces discussions, au départ plutôt banales et pacifiques, vont rapidement dégénérer et mener à des rivalités conflictuelles entre espèces. Composé de séquences d’animation réalisées directement sur le matériel filmique, FEARDEATHLOVEDEATH (2022) est un étrange conte philosophique cinématographique qui explore l’angoisse existentielle face à la mort : « Life will send you clear messages about the death of others. Death will send you coded messages about your own death ». En 2016, l’artiste déclarait déjà à Heidi Ballet : « Cette façon de répondre aux territoires inaccessibles en inventant des fictions qui s’y rapportent est sans doute une réaction instinctive. Pour comprendre la mort, nous avons créé les fantômes. » Dans 13 Essential Rules for Understanding the World (2011), résonne une voix distante et monotone, sur des images hypnotiques de fleurs. Celle-ci énumère treize règles essentielles, qui sonnent comme une mise en garde pour comprendre et survivre dans notre monde : « Ne jamais assumer ou prétendre comprendre quoi que ce soit », « Ne vous endormez jamais », etc.
Dans le deuxième espace de l’exposition, les films Time Laughs Back at You Like a Sunken (2012) et M.A.G.N.E.T (2019) se succèdent sur un grand écran. Dans le premier court-métrage, nous suivons l’excursion d’un homme dans un verdoyant jardin botanique. La superposition d’images d’architectures et de paysages exotiques évoque les transferts culturels et civilisationnels qui peuplent l’histoire. Le protagoniste observe ce monde à travers un étrange masque miroité. Présenté dans le même espace, la sculpture The Future of Your Head (2008) fait écho à cet artefact. Elle est composée d’un miroir sans tain où est inscrite en lettres scintillantes le message : « Your head is space part in our factory of perfection ». Cet aphorisme suggère au spectateur de rejeter le caractère ethnocentriste de la pensée occidentale pour s’ouvrir à de nouvelles formes de compréhension ontologique du monde. Le film M.A.G.N.E.T est une fiction dystopique et poétique sur le phénomène extraordinaire d’augmentation de la gravité. Afin de comprendre cet événement inattendu, un voyage est entrepris à travers le monde, en vain. Des images de sites mégalithiques, de peintures rupestres et de cratères volcaniques défilent. Dans ce film, le passé et le futur s’entremêlent pour offrir une nouvelle perception du présent.
1 « Entretien entre Basim Magdy et Heidi Ballet », traduit de l’anglais par Fabienne Durand-Bogaert, Basim Magdy. Il n’y aura pas d’étoiles filantes, Heidi Ballet (dir.), Paris : Jeu de Paume / Bordeaux : CAPC, 2016, p. 6.
2 Ibid., p. 3.
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Head image : Vue de l’exposition de Basim Magdy, The Year Spring Arrived In September, du 3 février au 14 mai 2023, Frac Bretagne, Rennes © Basim Magdy. Photo : Aurélien Mole
- Publié dans le numéro : 104
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- Du même auteur : Se perdre sans peur dans l’œuvre de Carla Adra., Jeremy Deller à Rennes, Daniel Pommereulle et Mathis Altmann à Pasquart, Emma Seferian au CAC Passerelle, Judith Kakon à La Criée, Rennes,
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