Caroline Mesquita à la Hab Galerie, Nantes
Caroline Mesquita à la HAB Galerie à Nantes
« CuCO & CO »
17 mai – 29 septembre 2024
Depuis la pointe de l’île de Nantes, comme une halte en son voyage, on passe la porte de la HAB galerie où nous reçoit un oiseau sentinelle avec suspicion, fétiche seul à l’horizon de l’espace d’exposition. Il se tient en haut d’une tour de bois blanc, érigée depuis le sol immaculé jusqu’au toit, qu’on ouvrait autrefois pour décharger les cargaisons arrivées par bateau, directement dans des wagons au centre de l’espace. À leur place s’étend aujourd’hui l’architecture d’un bâtiment dans le bâtiment, les deux « semblent avoir la même peau » (Caroline Mesquita), annonçant un jeu d’échelle par lequel l’artiste parvient à dompter l’impressionnant volume qui lui est confié pour cette exposition monographique.
Un jeu d’échelle que l’on sait d’emblée faire partie du vocabulaire plastique de l’artiste, connue pour ses installations immersives : un enfouissement d’os mis à nu sous le sol de l’espace d’exposition à la Kunsthalle Lissabon (Astray (Prologue), 2018, Lisbonne) ; une étrange maison de pierre et de pièces étincelantes à la Fondazion Pomodoro (La Casa dell’Eremita sul Naviglio, 2019, Milan) ; ou encore un restaurant couvert d’ardoise noire au centre d’art Passerelle, aux allures de cabane, d’usine ou de grand corbeau (Le Festin, 2020, Paris). Un jeu d’échelle également exploré en faisant intervenir des sculptures en laiton : personnages, géants ou à taille humaine, qui se trouvent éveillés au gré de films en stop motion dans lesquels l’artiste joue en animant elle-même ses créations, puis en cédant sa place à des sosies.
De là, on comprend la suspicion de l’oiseau qui nous accueille dans l’exposition « CuCO & CO ». Nous entrons à notre tour comme un personnage destiné à rejoindre le récit qui s’écrit. Nous sommes tout de suite mis sur la piste d’un chemin à retracer au fil de gouttes dorées semées sur le sol, en forme de pastilles, qui convergent vers une seule et même source ; plus loin, une colonne entourée de robinets laisse s’échapper quelques larmes d’or. Un personnage et un oiseau s’approchent – compagnie surréaliste –, tandis que les gouttes indiquent un nouveau chemin à suivre. On progresse jusqu’à la tour blanche que l’on apercevait dès notre entrée, sans savoir qu’elle recelait une porte ouverte sur un monde entièrement doré. À l’intérieur de ce qui s’avère être une cuve, seules des plaques métallisées forment les parois et le sol, et l’on découvre une échelle hors de notre portée, comme pour nous signaler quelque chose d’un accès refusé.
En se laissant porter par la scénographie de l’exposition, on passe les portes de l’atelier, dans lequel l’artiste crée un espace intimiste, maîtrisable, à échelle humaine. Sur une vaste table, au centre, apparaît une multitude de sculptures semblables à celles aperçues au-dehors, à ceci près qu’elles sont de taille réduite. On croirait presque pouvoir les manipuler, choisir leurs postures et les couleurs qui les entourent… jusqu’à ce que la suite de la visite ne nous conduise dans un nuancier qui nous dépasse et nous ceinture à notre tour.
En sortant du bâtiment, nos pas croisent de nouveau des sculptures à notre taille rétablissant le « statu quo » (Caroline Mesquita). Des silhouettes d’animaux et de robots dont les couleurs ont été obtenues par des réactions d’oxydation qui permettent à l’artiste de déployer une palette de bleus, de verts et de bruns jusqu’à des rouges ambrés. Plus loin, un chat nous attend, posté sur le toit d’un dernier bâtiment dont les dimensions plus réduites nous permettent de le saisir entièrement. On tourne autour sans y trouver aucune ouverture, à l’exception d’autres gouttes dorées présentes sur ses murs extérieurs, déguisant des œilletons face auxquels nous ignorons si nous sommes observés, ou si c’est à nous de regarder. En s’approchant maintenant de très près, on peut voir à travers la paroi de petits écrans qui nous confient en toute intimité le secret d’une métamorphose cachée. On assiste alors à la coloration d’un corps, une réaction par contact, où l’oxydation gagne doucement la chair humaine et la confond avec les peaux des sculptures en laiton. Ici, on se souvient que, après tout, le titre de l’exposition n’annonce la rencontre avec ces sculptures qu’au prisme d’une telle réaction : « CuCO & Co » correspond en effet à la formule chimique de la malachite, élément instable qui entre dans la composition du vert-de-gris.
Si l’on veut continuer à observer ces contaminations, il nous faut nous baisser, nous plier, nous tenir penchés contre les œilletons qui ponctuent de tout leur long l’ensemble des architectures de l’exposition. C’est à force de naviguer ainsi, inconfortablement, à leur surface, en leurs creux, par lesquels on épie les sculptures prendre vie, que l’on comprend que nous sommes résolument tenus à l’écart de ce récit au sein duquel seuls l’artiste et ses sosies prennent part. Tout se passe comme si l’on nous avait laissés croire depuis le départ qu’il était possible de circuler au cœur de la scénographie comme un personnage parmi les sculptures, passant d’un bâtiment à l’autre, porté par tous les ressorts narratifs et scénographiques déployés par l’artiste. Mais c’est précisément ici que l’on saisit où s’arrête la notion d’immersion avec laquelle on a choisi de traverser et de penser l’exposition : nous étions tenus à l’écart, au fond.
Head image : Caroline Mesquita, CuCo & CO (2024), HAB Galerie du Voyage à Nantes © Jean-Christophe Lett
- Publié dans le numéro : 108
- Partage : ,
- Du même auteur : Xavier Veilhan au Frac Pays de la Loire , La grotte de l’amitié à la Maréchalerie, ÉNSA Versailles, Marion Verboom à la Galerie Lelong « Da Coda », Design Sediments à Huidenclub, Rotterdam, Gina Folly à la synagogue de Delme,
articles liés
Lydie Jean-Dit-Pannel
par Pauline Lisowski
Arcanes, rituels et chimères au FRAC Corsica
par Patrice Joly
GESTE Paris
par Gabriela Anco