Cécile Bart et Etienne Bossut au musée de Nantes
Cécile Bart, Virevoltes
L’installation de Cécile Bart à la chapelle de l’Oratoire n’est pas frontale : du plafond de l’édifice tombent des fils de laine lestés par de petites billes de plomb, arrimés à intervalles réguliers sur des formes circulaires ouvertes, l’ensemble du dispositif dessinant des parois finement tramées, dont le visiteur épouse les courbes en même temps qu’il les traverse du regard. L’œil et le pied agissent donc de concert dans cette proposition d’enveloppement et de rythme, au gré d’une réalité chromatique qui s’intensifie ou se dissout,
apparaît et se perd suivant les perspectives. Car le propos de Cécile Bart, depuis ses peintures / écrans des années 1980, tient beaucoup à la spatialisation de la couleur : exit le cadre traditionnel de la peinture, l’élément chromatique (ici, des teintes claires et vives aléatoirement réparties, un lancer de dé déterminant l’emplacement de chacune) vibre en direct dans le premier matériel de la perception visuelle, la lumière. Comme chez Buren ou Varini, la proposition est simple mais les implications complexes : économie de moyens, neutralisation du contenu illusionniste de la peinture, transgression de l’interdit moderniste qui bannit la fonction décorative. La littérature est une maîtresse des nuances, disait Barthes, l’homonyme. Ici, les nuances de l’installation se révèlent dans une forme apparemment contradictoire de contemplation dynamique, dont les potentialités chorégraphiques sont peut-être trop soulignées (cf. le titre bavard aux accents matissiens, Virevoltes) mais l’élégance bien maîtrisée. Entre chute et ascension, l’artiste déploie son leitmotiv doux, chargé d’« une tension (…) pour utiliser une terminologie chère à Michel Serres, entre le paysage et le dépaysement, entre la randonnée et la méthode. » (1)
(1) Bernard Fibicher, extrait du texte Perspectives particulières et Lieux communs, consultable sur le site de Felice Varini.
Cécile Bart, Virevoltes
Chapelle de l’Oratoire, Musée des beaux-arts de Nantes
29 janvier – 26 avril 2010
Étienne Bossut, Nicole
« Pourquoi des moulages et non pas les objets eux-mêmes ? » demandait en 1983 Béatrice Parent à Étienne Bossut qui répondit : « Justement pour la re-présentation ! Il me semble que l’image devient plus forte que l’objet lui-même, même si la différence est imperceptible. Et puis, le moulage fixe une date, un état, par rapport à ces objets qui, eux, continuent à évoluer, c’est-à-dire vieillir, à s’oxyder, à se déformer et à se modifier. Ce qui me fait penser aux masques mortuaires vite réalisés avant la décomposition, une image de dernière minute. » (1)Cette question de l’image et de la temporalité revient au cœur de l’installation que propose l’artiste dans la salle blanche du musée des beaux-arts de Nantes : cette fois-ci, Étienne Bossut décide d’« abstractiser » huit raccords de tuyaux en PVC utilisés dans le bâtiment et les travaux publics. Ces « objets-images », noirs monochromes, sont présentés sur des socles blancs, imposants, de hauteur variable, rythmant le relief d’ensemble tout en sacralisant l’objet, en suspens hors du temps. Première réminiscence : les objets soclés de Bertrand Lavier qui naissent de la greffe d’une technique sur un objet qui, par tradition, ne s’y prête pas, (une tarte à la crème qui sonne finalement toujours juste, si l’on considère comme le formule Lavier lui-même, qu’une chose intéressante doit choquer). Un autre détail frappe : ces socles et leurs sculptures vont au devant du visiteur, faisant presque saillie dès l’entrée de la salle, comme si quelque chose de délicatement offensif était à l’œuvre ici, quelque chose d’érectile. Quant aux formes de ces raccords noirs, elles suggèrent certaines analogies sculpturales modernistes (dont un joli clin d’œil au Torse de jeune homme de Constantin Brancusi) et plus généralement, la liberté d’une vision fragmentaire, rapprochée en détail, devenue depuis le début du XXe siècle un principe esthétique partagé par une large partie de l’avant-garde. De la liberté à la licence, de la licence au licencieux, il n’y a qu’un pas, qu’Étienne Bossut franchit avec allégresse dans cette mise en scène soulignée par un titre au parfum féminin : Nicole, entre la star Kidman et la franchouille Croisille, un incongru fantasme hybride ainsi prénommé en référence à l’entreprise (Nicoll) qui fabrique ces tuyaux. Autant de strates (formelles et linguistiques) qui engagent ces objets-images dans un processus d’anthropomorphose débridé, où l’anatomie s’écartèle, les torses se cabrent et les entrecuisses s’ouvrent. Mais tout cela très poliment, presque sans y penser (même si certains fragments évoquent en filigrane la façon dont Bellmer traitait sa poupée). Et c’est la qualité du travail d’Étienne Bossut : pervertir les objets et semer le trouble, culbutant ici l’érotisme, l’histoire de la sculpture, les travaux publics et la mort (2) sans pourtant pécher par surcroît d’expressivité.
(1) Étienne Bossut, « Entretien avec Béatrice Parent », in cat. exp. Truc et Troc – Leçons de choses, ARC, Paris, 1983, p. 18.
(2) « (…) les moulages d’Étienne Bossut peuvent valoir comme une conjuration de la mort appliquée aux objets — une dénégation de leur obsolescence en tant que produit de consommation (…) » Vincent Pécoil, in cat. Étienne Bossut, Bidon, Petits Dessins, 1979-2003, Genève, Mamco, 2004, p. 13.
Étienne Bossut, Nicole
Salle blanche, Musée des beaux-arts de Nantes
13 février – 9 mai 2010
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- Du même auteur : Camille Girard & Paul Brunet, Daniel Dewar & Grégory Gicquel, Circonférences, Bruno Peinado, L’écho / Ce qui sépare, Ovni sculptural pour ville générique,
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