Collateral au Confort Moderne
Chacun cherche son MacGuffin
« Comment ne pas faire une exposition collective » tentait de nous démontrer Yann Chevallier le soir du vernissage de Collateral. En invitant un groupe d’artistes sans identité revendiquée, dont les affinités amicales et les ateliers partagés ne dessinent pas pour autant de volonté de se poser comme groupe, mais un simple désir d’être en groupe. Mais ne nous mentons pas, il y a bien une certaine communité d’esprit à l’œuvre parmi cette bande de new-yorkais, par-delà leur communauté de galeries (Sutton Lane à Londres et Paris, Miguel Abreu à New York), un sens de l’épuisement du support, du process, un antispectacularisme, aussi, qui les caractérise tous. Huit artistes, donc, qui se côtoient mais que l’invitation à exposer ensemble déroute, que la notion de collectif trouble, et qui prennent alors le parti de tirer parti de la situation. À la recherche d’un principe opératoire pour l’exposition, ils décident de forger une entité qui est peut-être l’identité qui leur fait défaut, en conviant un critique d’art fictif, Storm van Helsing, ( à l’origine créé par Gareth James en 2001 comme son alter-ego fictionnel) à rédiger leur manifeste. Ce texte se déroule comme le générique de l’exposition, en une projection reprenant la bande-son de North by Northwest. Filant la référence au masterpiece d’Hitchcock, ils tentent de résoudre la question de l’équité de l’accrochage sur le grand mur d’entrée en mettant en place un quadrillage en écho à la grille que dessine le générique du film (celle-là même sur laquelle Saul Bass créa son exemple historique de typographie cinétique). Divisant simplement le mur en vingt-quatre cases égales, la bande des huit s’offre d’entrée la possibilité de montrer trois pièces chacun dans une distribution de l’espace radicalement collégiale.
Procédant par touches de couleur, ces impressionnistes de la planéité dévoilent leurs travaux du sol au plafond, ramenant ainsi au premier plan — au sens propre comme au figuré — leurs préoccupations. L’autonomie des constituants picturaux chez Blake Rayne et Cheyney Thompson, photographiques chez Eileen Quinlan et Liz Deschenes, la prééminence du contexte pour Sean Paul (un élève de Gareth James), l’allusion pour Scott Lyall, l’hermétisme de l’objet pour Sam Lewitt, la tension à l’œuvre sous la plasticité chez Nora Schultz. Ce faisant, la question de la mise en espace dans la totalité des gigantesques volumes du Confort moderne n’est pas résolue, et c’est Blake Rayne, érigeant ses caisses handmade en principe d’accrochage pour ses propres pièces comme pour d’autres, qui s’y colle. Placées en travers telles des cimaises noires, elles replacent un horizon à hauteur d’homme, barrant une partie de la perspective de l’exposition tout en dissimulant à première vue les pièces qu’elles présentent. Par leur prise en charge totale du display, leur production textuelle et leur pièce commune créée pour la dernière salle de l’exposition (un jeu de spots et gélatines pastelles surjouant la théâtralisation d’un soleil couchant, abstraction ultime de la lumière capable de réunir espace et temps) Rayne et consorts méta-théorisent leur exposition.
Le terme collateral désigne « des conséquences secondaires à l’objectif principal » ainsi que l’écrit le collectif sous l’égide de van Helsing/James, or ici, qu’est ce qui est collatéral si ce n’est l’exposition? L’ajout décomplexé d’une pièce non prévue au départ — une photographie de Roe Etheridge qui se trouvait partager l’une de leurs caisses de transport? La possibilité de « décider que le sens n’est pas juste une conséquence secondaire de l’assemblage de pratiques constituant l’exposition »? La contamination entre les œuvres se fait-elle malgré ou grâce aux grands espaces laissés libres entre elles? Chaque recherche semble ici respirer du même souffle que celui de l’exposition, entre interrogation sur les protocoles de production et mise en œuvre d’une sérialité, dans une relation réflexive à sa propre matérialité. Qu’il s’agisse des photographies d’agencements de miroirs d’Eileen Quinlan qui ne reflètent rien d’autre que l’illusion qu’ils créent (Smoke and Mirrors, 2008), des photographies nues de Liz Deschenes au sens où il ne s’agit que de papier et de lumière, sans aucun contenu représentatif, de la série des Chromachrome(2009) de Cheyney Thompson, ces toiles aux formes des plus classiques (tondo, rectangle à l’italienne, etc.) supports d’une abstraction apparente, entre motif et pointillisme, qui résulte en fait d’un agrandissement de la trame de la toile dont Thompson reprend les valeurs sombres et claires dans des couleurs complémentaires dérivées du système colorimétrique de Munsell, chacune de ces quêtes auto-référencées crée l’exposition tout comme le MacGuffin est le moteur du scénario chez Hitchcock, et ce quel qu’il soit: diamant qui fait courir les voleurs, microfilm que traquent les espions, ou même pure abstraction comme celui de North by Northwest, secret d’Etat dont on ne saura jamais rien d’autre qu’il est sensé exister puisque tout le monde cherche à le récupérer. Res ipsa loquitur.
Collateral, avec Liz Deschenes, Sam Lewitt, Scott Lyall, Sean Paul, Eileen Quinlan, Blake Rayne, Nora Schultz, Cheyney Thompson, au Confort Moderne, Poitiers, du 6 juin au 23 août.
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- Du même auteur : Andrej Škufca, Automate All The Things!, LIAF 2019, Cosmos : 2019 , Mon Nord est ton Sud,
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