Dove Allouche, Mea Culpa d’un sceptique
Fondation d’entreprise Ricard, Paris
22.03_7.05.2016
Certains repentirs, et l’humilité qu’ils requièrent, apparaissent comme un retournement de perception essentiel, une réactualisation profonde des connaissances, à l’échelle bien sûr de celui qui l’énonce mais aussi, parfois, de l’humanité. En 1903, le célèbre paléontologue Émile Cartailhac publie un article intitulé « Mea Culpa d’un sceptique » après avoir étudié aux côtés de l’abbé Henri Breuil la grotte d’Altamira en Espagne. Lors de ses recherches, il découvre les traces d’une présence humaine de longue durée ainsi qu’une lampe à huile datant du Paléolithique qui l’amènent à réviser sa position sur les peintures rupestres. Il pensait jusqu’alors qu’elles ne pouvaient avoir été réalisées par les hommes de cet âge reculé sur des parois éloignées de toute ouverture naturelle. Sans lumière, aucune image ne pouvait apparaître. Ce texte marque la reconnaissance de la capacité de nos ancêtres à produire des œuvres et à mettre en place les dispositifs techniques pour y parvenir. L’art pariétal – puisque dès lors il s’agissait d’un art – se voyait ainsi requalifié en chaînon séminal de l’histoire de l’art et de l’humanité.
Avec son exposition à la Fondation Ricard, dont le titre reprend celui de Cartailhac, Dove Allouche revient sur cette fascinante paternité à travers différentes séries dont les jeux de correspondances et les procédés techniques s’inspirent des méthodes et contextes de travail des artistes du Paléolithique, et les déplacent. Il y est ainsi question de lumière (ou de son absence), d’opacité et d’images générées par leur propre processus, sans recours à l’objectif de l’appareil photo. Plutôt que de se pencher sur les peintures elles-mêmes, Allouche opte pour un point de vue géologique et les vertus de la coupe stratigraphique pour révéler l’épaisseur vertigineuse du temps.
L’exposition se construit autour de blocs de calcite que l’artiste découpe en fins rectangles. Placés sous la lumière de l’agrandisseur, ils laissent apparaître veines et transparences indiquant, comme les cernes d’un tronc d’arbre, l’âge du minéral. Il tente ainsi l’expérience de produire des images à partir de ces échantillons. Tout débute à la grotte Chauvet (l’originale). Les photographies étant interdites, il se concentre sur le sol de la cavité humide, compacté par les hommes qui le foulèrent et poli par endroits par les ours, dont il extrait donc un morceau de calcite. Cette étape inaugurale donne lieu à la série « L’enfance de l’art » constituée de sept dessins reproduisant le réseau de nervures mis à jour par l’agrandisseur, en projetant sur le papier de l’hématite, un oxyde de fer employé comme pigment au Paléolithique. Le verre soufflé utilisé pour l’encadrement évoque quant à lui une technique archaïque et l’irrégularité des parois d’une grotte. Pour la série « Pétrographies », il débite en fines lamelles une stalagmite de soixante-cinq centimètres (soit une période d’environ deux mille ans) issue de la grotte de Remouchamps en Belgique, en vue de les utiliser cette fois comme négatifs. Dans une relecture de l’allégorie de la caverne platonicienne, il vient « aveugler » ces prélèvements qui révèlent sur le papier photosensible l’image de leur croissance mais aussi l’activité humaine qui s’est développée sur place – cette présence est en effet inscrite dans la calcite sous forme de cernes noirs (donc blancs sur les photos d’Allouche) dont l’épaisseur varie selon la durée d’occupation des lieux.
À l’élégant noir et blanc des « Pétrographies » obtenu par l’éclairage d’une source opaque, semblent répondre les images solaires de la série « Sunflowers ». Le procédé est ici inverse : Allouche travaille dans le noir total en manipulant des matières qui réfléchissent la lumière et obstruent ainsi la révélation photographique. Reprenant une technique traditionnelle de fabrication de miroir, il dépose à la surface du papier photosensible, dans un ample mouvement de balayage, une couche d’étain et d’argent. Une fois le résultat exposé à la lumière, seules les parties non recouvertes virent avec plus ou moins d’intensité et dessinent des halos évoquant un souffle astral. L’artiste produit ainsi sa propre stratification, son propre geste géologique.
Chez lui, concrétion et relief s’auscultent à travers une mise à plat, comme si on les radiographiait ou si on les dépliait pour mieux tenter d’en percer le mystère et l’origine. À la banalité et à l’outrance de la circulation de l’image dans nos sociétés contemporaines, Allouche semble opposer la magie presque archaïque de son apparition, qu’elle survienne sous le vacillement d’une flamme éclairant les parois humides d’une grotte millénaire, à la surface du papier photographique dans une chambre noire ou sur l’écran blanc des salles obscures[1].
[1] Le spécialiste de la préhistoire Marc Azéma a avancé la thèse, fascinante et discutée, que certaines peintures des grottes du Paléolithique pouvaient apparaître comme les balbutiements d’un cinéma d’animation, un animal représenté dans différentes positions pouvant être mis en mouvement sous l’action du vacillement de la torche. Cf. Marc Azéma, La Préhistoire du cinéma. Origines paléolithique de la narration graphique et du cinématographe, Paris, Errance, 2011.
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- Du même auteur : Oriol Vilanova, Elad Lassry, Raphaël Zarka, Riding Modern Art, Liz Magic Laser, Matteo Rubbi,
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