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Espèces d’espaces au Magasin

par François Aubart

Espèces d’espaces
Génération 80

L’annonce surprend. Après une phrase sibylline expliquant qu’il s’agit bien d’une exposition sur les années 1980, le communiqué de presse énumère d’un certain nombre de points définissant un champ de recherche géographique, chronologique et artistique qui soulignent l’ancrage scientifique de la démarche. Pourtant, si l’objet est minutieusement circonscrit, aucune lecture particulière ne semble vouloir l’éclairer.

L’exposition se développe à travers une succession de salles, chacune proposant un regroupement thématique comme autant de fragments d’une époque. Ainsi l’une des premières, où une maquette de Thomas Schütte entourée d’œuvres évoquant l’architecture et l’urbanisme, ambitionne de poser la question du rapport social à l’espace public. Les photographies de Thomas Struth recensent scrupuleusement la banalité des bâtiments d’habitation. James Casebere photographie des maquettes d’architectures dont la mise en représentation produit un doute sur ce que nous voyons. Une grande peinture de Ludger Gerdes, digne d’une décoration de pizzeria, s’inspire de représentations d’architecture de la Renaissance dans laquelle des personnages contemporains semblent perdus.
De cette place publique, on passe aux intérieurs, au quotidien et à ses objets. Une Furniture Sculpture de John Armleder fait face à un berceau incliné de Robert Gober. En toile de fond à cet étrange intérieur, un papier peint couvre un mur. Photographie d’un sous-bois automnal, sa moitié droite est peinte à la manière des impressionnistes. Avec cette œuvre, Bertrand Lavier chronique la transformation de motifs picturaux en apparat d’intérieur. Et c’est en effet vers la domesticité que l’on se tourne avec les étagères d’Haim Steinbach sur lesquelles trônent différents objets, fétiches contemporains. En face, se trouve une série de photographies de Laurie Simmons où une figurine féminine en plastique s’affaire à des activités de femme au foyer dans des maquettes d’intérieurs proprets. C’est probablement dans cette confrontation d’œuvres que s’énonce le plus clairement un portrait de ces artistes dont la carrière débute dans les années 1980. Il révèle une génération mi-horrifiée et mi-fascinée par la montée en puissance de la société de consommation, marquée également par une position qui se fait moins radicale et plus fun que celle de leurs aînés. Cela est illustré par la salle dédiée aux pratiques activistes. On y découvre les moulages de visages d’habitants du quartier de John Ahearn, les graffitis et affiches de Kenny Scharf et Keith Haring, des flyers et des fanzines du collectif Fashion Moda. Dans cette production socialement engagée ce qui surprend encore est une posture. Le radicalisme s’énonce par l’utilisation de l’industrie, les produits dérivés et la production d’émissions de télévision alternatives, une tentative aussi de se rapprocher d’un public plus large. C’est adossés au spectacle que se tiennent ces artistes, comme le faisaient à la même période les militants d’Act-Up, absents de cette exposition.
C’est enfin la question de l’économie qui est posée dans une des dernières salles où sont réunies des œuvres de Philippe Thomas, du groupe IFP et de Louise Lawler. Chacun à sa façon rend compte de la place grandissante que prennent les collectionneurs dans un circuit artistique reconfiguré, en passe de devenir la machine que l’on connaît.
Au fil de ses salles, Espèces d’espaces a finalement le mérite de rendre compte de la posture ambiguë d’une génération aux prises avec un monde en pleine mutation. Les incertitudes d’une génération confrontée à une époque que notre actualité est loin d’avoir dépassées et que le Magasin explorera dans un prochain volet dédié aux images et aux représentations.

Vues de l’exposition Espèces d’espace au Magasin, Grenoble. Photo © Magasin / Ilmari Kalkkinen. Au premier plan, Thomas Schütte, Studio in den Bergen, 1984. Technique mixte. Collection du Musée d'art contemporain de Lyon. Au second plan, Ludger Gerdes, Sans titre, 1982. Triptyque, huile sur bois. 250x150 cm. Fonds national d’art contemporain, en dépôt au musée d’art moderne de Saint-Étienne Métropole. James WELLING, Glessner Diagonal Arch, 1988. Photographies noir et blanc. 110 x 90 cm. Collection du Fonds régional d'art contemporain de Bourgogne. Droits de l'artiste : non connus. Clichés photographiques : auteur inconnu. Ames Memorial Town Hall (Loggia interior), 1988. Photographies noir et blanc. 110 x 90 cm. Collection du Fonds régional d'art contemporain de Bourgogne. Droits de l'artiste : non connus. Clichés photographiques : auteur inconnu.

Vues de l’exposition Espèces d’espace au Magasin, Grenoble. Photo © Magasin / Ilmari Kalkkinen. Au premier plan, Thomas Schütte, Studio in den Bergen, 1984. Technique mixte. 

Espèces d’espaces : Les années 1980 – première partie, au Magasin, Grenoble, du 11 octobre 2008 au 4 janvier 2009. Avec John Ahearn, Aone, John M. Armleder, Bazile/Bustamante, Bernard Bazile, James Casebere, Philippe Cazal/Jacques Fournel, Crash, Jane Dickson, John Dogg, Stefan Eins, Coleen Fitzgibbon/Christof Kohlhofer/Christy Rupp/Robin Winters, Günther Förg, Ludger Gerdes, Robert Gober, Keith Haring, Jenny Holzer/Peter Nadin, Thomas  Huber, Rebecca Howland, Axel Hütte, IFP, Justen Ladda, Bertrand Lavier, © les readymade appartiennent à tout le monde, Allan McCollum/David Robbins, Alyson Pou, Richard Prince, Thomas Ruff, Kenny Scharf, Thomas Schütte, Laurie Simmons, Michael Smith, Ettore Sottsass, Haim Steinbach, Thomas Struth, Meyer Vaisman,Tom Warren, James Welling.


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