A voice, And…

Eva L’Hoest – The Mindful Hand
Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain
01.02 – 11.05.2025
Il y avait des corps qui sortaient des machines et des machines qui sortaient des corps, des mots qui sortaient des corps et des mots qui sortaient des machines. Des scènes qui sortaient des pierres et des pierres transformées en machines.1
Les mots d’Eva Mancuso, autrice du texte accompagnant le nouveau film Main Station d’Eva L’Hoest présenté au Casino-Luxembourg restent en mémoire autant que les images composites qu’ils accompagnent. Lu en allemand par l’une des curatrices de l’exposition (Stilbe Schroeder), le texte n’a pas pour seul effet de rompre le jeu de miroir entre les deux Eva – ici collaboratrices mais aussi amies-, entre les outils numériques des IA et le vivant dont ils sont issus, entre l’architecture et les fonctions –historiques et contemporaines- du lieu d’exposition où a été tourné le film. L’hybridation textuelle, poétique et féministe ouvre vers un espace labyrinthique, une zone grise incertaine entre ce que l’on perçoit et ce que l’on vit. Plus qu’un rapport aux technologies d’imageries analogiques et digitales, le travail d’Eva L’Hoest, artiste visuelle et plasticienne d’origine liégeoise matérialise du temps, autant qu’il rend palpable les erreurs, les aberrations, les limitations de la machine et leurs accointances avec le corps et les affects.
Le film de la large installation audiovisuelle défile sur quatre écrans, par de longs travelings, qui font glisser d’un étage à l’autre du Casino, de ses anciens espaces de réception ornés de peintures champêtres XIXe aux recoins plus secrets des greniers et couloirs d’archives. L’image qui intègre des éléments du CGI commence à morpher en se chargeant de matières texturées, les espaces familiers s’ouvrent vers d’autres dimensions. Tourné en 16 mm et retravaillé avec les technologies du NERF (méthode d’intelligence artificielle permettant de générer des scènes 3D réalistes), Main Station rappelle les trajectoires de techniques visuelles comme le 16mm, de leur premier usage domestique à leur basculement vers l’imagerie de contrôle et de surveillance. Main Station est aussi par transfert métaphorique, un espace de centralisation des données, de transit, et de gestes liés à des bouleversements des ères industrielles et technologiques.

On devait prendre des photos. On coulait du métal dans les corps, dans les scènes dont on devait se souvenir. On enfermait les visages dans des cadres, derrière des vitres, et on les retrouvait par hasard comme les ruines conservées par accident.
L’installation technique et minutieuse donne le ton à l’ensemble de The Mindful Hand – un titre inspiré de la recherche de Mattéo Pasquinelli sur l’histoire de la division entre la main et l’esprit, et la manière dont les IA mettent en lumière les valeurs cognitives du travail manuel quotidien. Le travail omniprésent de la main conçue comme premier espace de communication, témoigne d’une impuissance face aux prolongements complexes avec la machine. La mise en volume de ce qui s’apparentent à des photos extrudées laissent surgir dans les boîtes en alliage d’étain et de bismuth de Inkstand des corps empêtrés, transis, et captifs dans des cadres domestiques dystopiques. Pour la réalisation de ces sombres petits dioramas, L’Hoest qui s’est inspirée des expériences de Skinner2 mêlent savamment, et comme souvent dans sa pratique, les références scientifiques à l’utilisation de techniques artisanales comme le « lifecasting » pour montrer l’impact des technologies numériques sur nos rapports sociaux et la modification de notre approche de la pensée.
Outre la présence de la voix, les corps invisibles du film s’incarnent, partout et par fragments dans les sculptures en 3D qui ponctuent le paysage audiovisuel de The Mindful Hand. Leurs aspects inachevés – entre contrôle et aléatoire- est aussi troublant que la décomposition de leurs mouvements, qui n’est pas sans rappeler les origines et artifices du cinéma, la construction de systèmes de simulation et d’illusion. Campé comme Anubis, Radgoll, la sculpture d’un personnage arachnéen fusionnant plusieurs corps en un, est un point pivot qui confronte le.la visiteur.euse à sa propre présence, et à la fiction qui l’entoure. Sous les flashs stroboscopiques, l’installation cinétique inspirée du principe du zootrope dans la salle adjacente continue de faire tourner, littéralement, la tête avec un ensemble de vingt-quatre blocs où apparaissent les étapes intermédiaires d’un visage sculpté. Le cercle hypnotique se mêle à des enregistrements sonores de la Bourse de Paris dans les années 60, et renvoie à la vanité de l’agitation dans la corbeille boursière.
Elle avait beau ne rien faire, c’était comme si les morceaux du monde sautaient tout seuls dans ses mains.
Le cercle ralenti, les visages se figent. Ne demeurent plus que la voix de Main Station, et …la persistance rétinienne de l’ironie des fictions occidentales. En écho à la théorie des quatre corps de Damasio3, une vision plus holistique se dégage de The Mindful Hand. Telle un laboratoire de formes et de langages des intelligences et de la mémoire de nos outils, l’exposition fait co-exister en un tout ces différents corps qui nous composent.

Head image : Eva L’Hoest, Main Station, 2025. Installation vidéo multicanal, 13min, son quadriphonique, film 16mm, images de synthèse.
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- Du même auteur : Marc-Camille Chaimowicz au Wiels , Lucy Raven, Hanne Lippard, Matthew Angelo Harrison, Florence Jung,
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