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Evariste Richer à la Criée – Centre d’art contemporain, Rennes

par Guillaume Lasserre

Evariste Richer – « Avaler les cyclones », 
Commissariat : Sophie Kaplan

La Criée – Centre d’art contemporain, Rennes
Du 12 octobre au 30 décembre 2023

« Comment programmer, comment agir dans un centre d’art en respectant et prenant soin de celles, ceux et ce qui nous entourent ? » C’est la question que s’est posée La Criée, à l’entame d’un nouveau cycle de trois saisons (2023-2025), intitulé « Festina Lente » (Hâte-toi lentement) – formule attribuée à l’empereur romain Auguste affirmant aujourd’hui la nécessité de réinventer les usages du monde –, qui imagine avec les artistes des formes d’adaptations, d’alternatives et de résistances, dans la lignée des précédents cycles engagés par le centre d’art, interrogeant les problématiques sociétales qui traversent notre présent, qu’il s’agisse de l’écologie, du postcolonialisme, ou encore de la question des représentations. Comme les précédents, ce nouveau cycle possède sa propre revue. Nourrie par un comité scientifique, elle prolonge les questions soulevées par les expositions à venir. « Ce nouveau cycle présentera des artistes portant les voix de pensées de l’environnement plurielles. Il cherchera à donner voix aux non-humains, aux vivants et non-vivants, aux non-parlants qui pourtant disent beaucoup », explique Sophie Kaplan, la directrice de La Criée. En ouverture de cette saison inaugurale, une exposition monographique de l’artiste Évariste Richer, au titre évocateur, « Avaler les cyclones », invite à une expérience sensible autour d’œuvres spécialement conçues pour l’occasion. 

Né en 1969 à Montpellier, Évariste Richer est diplômé de l’école des beaux-arts de Grenoble 1992, puis de l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy (ENSAPC), en 1994. Depuis le milieu des années 1990, il produit des pièces qui sont autant de contributions à la compréhension du monde. Son travail s’organise autour des « outils de mesure du monde » et leur dévoiement. L’artiste interroge les modes de représentation de phénomènes naturels dont il met en scène le caractère violent et mystérieux. Pour lui, toute œuvre d’art peut procéder d’une opération fonctionnelle. Sa pratique artistique se singularise par des méthodologies de travail scrupuleuses donnant naissance à une œuvre empreinte de scientificité poétique.

Vue de l’exposition « Avaler les cyclones », Evariste Richer à La Criée – Centre d’art contemporain, Rennes

L’exposition « Avaler les cyclones » se veut l’évocation d’une carte météorologique centrée sur un gigantesque cyclone et son vortex d’énergie autour duquel gravite l’ensemble des œuvres. Les questions de dérèglement climatique, les catastrophes naturelles et l’accélération de notre relation au temps et à l’espace sont au cœur du travail de l’artiste. Le Cyclone en question, posé à même le sol du centre d’art, se compose de 69 750 dés à jouer qui dessinent la dépression atmosphérique. Les dés sont rigoureusement ordonnés à partir d’une photographie satellite qui sert de matrice. Contrairement au poème de Mallarmé, auquel on pense inévitablement lorsqu’il est question de dés, il n’y a pas de hasard ici. L’œuvre fait également songer à l’œuvre Eins. Un. One… (1984) de l’artiste Fluxus Robert Filliou, où 16 000 dés de couleur sont jetés de façon aléatoire au milieu d’un cercle de bois. Le dé se révèle un élément récurent dans l’œuvre d’Évariste Richer, qui le considère comme du braille en creux. « Le dé est un outil de travail qui m’aide parfois à faire des choix », explique-t-il. Ainsi, en 2000, il réalise un dé à jouer dépourvu de numérotation. En 2008, il accroche un dé ordinaire au mur, Le Grêlon noir, qu’il met en rotation. En 2011, au collège des Bernardins, il empile 8 000 dés de couleur pour former un cube de 76 kilos, soit le poids médian d’un individu. Cumulonimbus capillatus Incu, énorme nuage associé aux cataclysmes, comme la grêle ou les tornades, apparaît telle la métaphore de nos destins. Dans l’exposition rennaise, une série de dés colorés tient dans la main moulée en plâtre de l’artiste.

Suspendu au mur face au cyclone, le Monde foudroyé, planisphère aquarellé de grand format, reflète, dans ses couleurs, l’impact de la foudre sur la terre, l’embrasement du monde. Les zones les plus touchées apparaissent en rouge et noir sur la carte, à l’image de la République démocratique du Congo, l’Afrique du Sud ou encore le Venezuela. Un peu plus loin, ce sont des forces contraires qui traversent le Monument à la dernière plume,dans lequel plusieurs éléments métalliques conducteurs forment un paratonnerre positionné en balancier avec une canne blanche d’aveugle. Là-bas, deux œuvres mises en regard, Apocalypse et Histoire, incluent des outils de mesure : la baguette de direction d’orchestre donne le tempo de la musique, tandis que le crayon d’architecte esquisse les dimensions d’un espace. Leur association à une pale d’hélicoptère renvoie à la force centrifuge du cyclone. Ici, un mégaphone, dont le pavillon amplificateur est obstrué par une ammonite, compose Festina Lente. L’association pour le moins dissonante de ces deux éléments, entre discours de l’urgence et silence millénaire des sédiments, incarne pour Évariste Richer un « télescopage du hasard ».

Dans la petite salle du fond, Les Promesses (2019), série photographique au format de carte postale figurant les montagnes très colorées du parc géologique Zhangye Danxia en Chine, images trouvées sur Internet, laissent apparaître dans l’image une main de l’artiste tenant un nuancier Kodak pour mieux révéler la falsification des couleurs opérée par les internautes. 

Vue de l’exposition « Avaler les cyclones », Evariste Richer à La Criée – Centre d’art contemporain, Rennes

Pensée comme un lieu dédié où s’entrecroisent histoires humaine, géologique et cosmologique, l’exposition rejoint les propos de l’historien camerounais Achille Mbembe : « […] dans le traitement de la Terre, c’est une chaîne symbiotique, en réalité l’étendue des êtres vivants et de leurs innombrables manifestations, qu’il faut garder à l’esprit. Les humains, les espèces animales, végétales et minérales, les microbes, les vents, les tornades, les ouragans, les bactéries et les virus, ainsi que les mers, le ciel, le climat, les systèmes technologiques et autres dispositifs artificiels et externalisés, en font tous indissociablement partie. Et qu’en est-il des sols et des glaciers, du mélange rocheux déposé par les rivières, des collines striées, de l’argile, de la pierre et des statues ? »

Arpenteur, prenant la mesure du monde et de ses phénomènes naturels, Évariste Richer visite différents états de la matière, trouble notre perception, introduisant, non sans humour et avec beaucoup de poésie, une part d’aléatoire dans nos certitudes. De son esthétique minimaliste et conceptuelle se dégage un étonnant pouvoir de suggestion qui bouleverse notre compréhension du monde. L’omniprésence de la main humaine, celle qui tient le crayon de l’architecte, la baguette de chef d’orchestre, mais aussi la canne d’aveugle ou qui lance les dés, traduit des gestes qui sont autant de tentatives de se réapproprier l’expérience du temps long et, à travers lui, interroger la place des humains sur terre, entre force d’invention et outrance dévastatrice. 

Vue de l’exposition « Avaler les cyclones », Evariste Richer à La Criée – Centre d’art contemporain, Rennes

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Head image : Vue de l’exposition « Avaler les cyclones », Evariste Richer à La Criée – Centre d’art contemporain, Rennes


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