Fais que ton rêve soit plus long que la nuit au musée de Rochechouart
Fais que ton rêve soit plus long que la nuit
Musée d’art contemporain de la Haute-Vienne, Château de Rochechouart
3.03 –11.06.2023
Réunies sous un très beau titre – slogan de mai 68 déjà repris par Vangelis pour un album concept fait de collages de sons, de conversations et de chansons entendues dans les manifestations –, les œuvres de l’exposition sont à regarder comme traçant des lignes de fuite, des plans d’évasion et des voies à suivre pour que les rêves deviennent réalité. La proposition à elle seule donne envie de s’attarder un peu, car elle soulève une excellente question : les œuvres d’art sont-elles, précisément, des rêves devenus réalité ? La question, à vrai dire, est à double tranchant : elle reformule la vieille alternative de l’art comme moyen de changer le monde ou comme refuge dans un paradis artificiel. Avec la référence aux slogans de 68 et le contexte politique actuel, on aurait envie de dire que l’exposition penche vers la première solution, mais les œuvres sélectionnées et la manière dont elles sont présentées montrent que les choses ne sont pas si simples. Celles-ci sont accrochées selon des zones ou des constellations plutôt que selon un parcours ou un fil conducteur. Plusieurs œuvres de certain·es artistes sont présentées : elles constituent des ilots monographiques, tandis que, dans d’autres espaces, l’accrochage s’inspire du collage évoqué par la référence à l’album de Vangelis, mais aussi à Raoul Hausmann qui reste, en quelque sorte, le maitre des lieux.
Concernant les mini-monographies, la première salle donne le ton avec une sélection de peintures de l’artiste américaine Autumn Ramsey représentatives de son travail de 2012 à aujourd’hui. Usant de techniques variées, traits, lavis, fonds brossés…, et de couleurs vives qui deviennent quasi psychédéliques dans les toiles récentes, Autumn Ramsey est porteuse d’un art troublant, où la beauté des motifs, plumes, pelages, feuilles et fleurs, attire autant qu’elle perturbe. Un bleu trop bleu, la courbe d’une corolle trop enchanteresse : quelques indices semblent sans arrêt nous mettre en garde des dangerosités encourues à trop s’y laisser prendre. Autre mini-monographie, la deuxième salle est essentiellement consacrée à une série de quarante dessins à l’encre et au feutre de l’artiste et poétesse Sophie Podolski. Réalisés entre 1968 et 1971, ils associent figures torturées et prose politique-onirique pour incarner un art de révolte, où le rêve est un outil critique dans la lutte contre une société réactionnaire. C’était le cas à la fin des années 1960. Quels enseignements en tirer aujourd’hui ? Il faut aussi préciser que les dessins de Sophie Podolski ont fait partie d’une vaste donation effectuée en 2020 par l’artiste Joëlle de La Casanière qui avait fondé, avec elle et d’autres, le collectif d’artistes Montfaucon Research Center en 1972 (avec, aussi, la peintre italienne Olimpia Hruska, le poète portugais Al Berto, le musicien Jacques Lederlin…). Joëlle de La Casinière est d’ailleurs elle-même présente dans l’exposition avec un ensemble d’une soixantaine de dessins et collages accrochés tout le long du mur de l’espace central du rez-de-chaussée. Composées tout au long de ses voyages, telles des peintures de poche inspirées des flyers, ses œuvres colorées et souvent très politiques composent une symphonie joyeuse ponctuée de roses, de verts et de dorés qui font sauter à nos yeux les écritures qui les recouvrent et nous interpellent. Dans La mer se meurt, 1988, par exemple, avec cette formule : « sous la mer… génocide méthodique… vidanges… Faites circuler le message. »
Enfin, dans d’autres parties de l’exposition, l’accrochage met en regard des œuvres d’artistes qui partagent des similitudes formelles et thématiques ou des contextes de création.
C’est le cas de Július Koller, Jirí Kovanda et Endre Tót, trois artistes de l’ancien bloc de l’Est, respectivement slovaque, tchèque et hongrois, qui ont commencé à travailler dans les années 1960-70 avec peu de moyens. Ils opéraient alors des actions furtives, dont témoignent des photos accompagnées de légendes et de titres, souvent des plus judicieux (et drôles, car l’autodérision n’est pas la moindre de leurs qualités). Ainsi des actions de Július Koller, ou plutôt, ce qu’il appelait des « antiperformances » ou « antihappenings » : des gestes élémentaires souvent absurdes, désignés par le titre générique de « U.F.O. », signifiant selon les occasions « Universal-cultural Futurological Opérations » mais aussi « Universal-cultural Fantastic », « Fictional »… « Object », « Occupation »… Le rire et la joie qu’Endre Tót fond dans ses autoportraits sont encore une critique de l’autoritarisme. En effet, une série d’œuvres consiste en la mise en situation de phrases commençant par les mots « I’m glad if/when », suivis d’une courte description tautologique. L’une de ses déclinaisons prend la forme d’une banderole confectionnée pour défiler à Paris en 1979 (l’artiste s’est enfui de Hongrie en 1978), où l’on peut lire : « On est heureux quand on manifeste ». Enfin, parmi les œuvres les plus étonnantes de l’exposition, se trouve dans l’une des dernières salles une peinture de Pélagie Gbaguidi, intitulée Le Jour se lève : les mutants, 2021. On y voit trois corps nus, de trois couleurs de peaux différentes (même si ce sont des autoportraits), cadrés au-dessus du ventre, les jambes écartées, urinant un jet jaune fluo qui ressemble plus à un rayon laser de science-fiction de la couleur des Gilets Jaunes qu’à un simple pipi. Dans la tradition des tableaux représentant des pisseuses, de Rembrandt à Picasso, l’artiste arrose métaphoriquement avec une jouissance vengeresse (c’est en tout cas ce que l’on ressent) l’espace qui l’environne. Avec cette peinture, le rêve s’achemine tout droit dans notre réalité.
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1Pour rappel, le musée d’art contemporain de la Haute-Vienne conserve le Fonds Raoul Hausmann, l’artiste dadaïste ayant vécu de 1944 à sa mort en 1971 dans le Limousin.
Head image : Vue de l’exposition, Fais que ton rêve soit plus long que la nuit, Musée d’art contemporain de la Haute-Vienne, Château de Rochechouart.
- Publié dans le numéro : 104
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- Du même auteur : Anna Solal au Frac Occitanie Montpellier, Gontierama à Château-Gontier, Alias au M Museum, Leuven, mountaincutters à La Chaufferie - galerie de la HEAR, Lacan, l’exposition au Centre Pompidou Metz,
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