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Fondation Plaza

par Andrea Rodriguez

Marc-Joseph Saugey (1908-1971) était passionné de cinéma, une fascination qu’il a reflétée dans les sept projets de salles de cinéma qu’il a conçus pour Genève, dont cinq ont été construits et deux sont encore conservés. L’un d’eux est le cinéma Plaza1, inauguré en 1952 avec le complexe Mont-Blanc Centre. C’était la plus grande salle de Genève et la première en Suisse à projeter en Cinémascope. Emblématique de l’après-guerre, le Plaza a fermé en 2004 et a été sauvé de la démolition en 2019 lorsque la Fondation Hans Wilsdorf2 a acquis le complexe. Actuellement, il est classé et protégé en tant que l’un des rares bâtiments du XXe siècle bénéficiant de la protection maximale du patrimoine à Genève. La Fondation Plaza a été créée dans le but de le restaurer et de le transformer en Centre Culturel d’Architecture et de Cinéma.  

Une nouvelle vision pour le Plaza Centre Cinema  

Jean Pierre Greff, président de la Fondation Plaza, décrit le Plaza Centre Cinema comme un « centre de cinéma » dans le sens où nous comprenons un centre d’art. Ce sera un espace explorant l’image en mouvement, le temps et l’espace cinématographique, sans rivaliser avec les autres salles de Genève, mais en les complétant par une offre différenciée basée sur la notion d’événement. Le futur complexe comprendra la grande salle de cinéma, des espaces d’exposition, une salle immersive, un hôtel-cinéma, un bar, un restaurant et des bureaux pour la Fondation Plaza ainsi que d’autres structures culturelles, telles que des festivals de cinéma, des agences de production et des projets de danse. Son objectif est de promouvoir un réseau de collaboration autour du cinéma et des disciplines connexes, créant ainsi un écosystème où le cinéma coexiste avec d’autres formes de pensée et d’expérimentation artistique.  

Greff souligne l’importance de préserver l’essence cinématographique du Plaza dans sa transformation : « Il aurait pu être plus multidisciplinaire, mais son architecture est centrée sur l’écran et le spectacle du cinéma. Un autre approche aurait signifié le travestir excessivement. » Cette fidélité à la nature du bâtiment guidera la programmation, pensée pour renforcer l’expérience immersive de l’image en mouvement et consolider le Plaza en tant qu’espace de référence.  

Enseigne extérieure du Plaza avec une installation de Christian Robert-Tissot. Photo : Michel Giesbrecht.

Marc Saugey et l’architecture cinématographique  

La vision architecturale de Marc Saugey correspond à l’esprit du projet. Influencé par l’architecture américaine, il a conçu des espaces où la modernité et la fluidité de l’espace étaient les protagonistes. Au Plaza, l’aluminium prédomine et l’ensemble du lobby, du bar et de la salle de cinéma est conçu comme un espace urbain interconnecté. L’un des éléments les plus distinctifs du cinéma Plaza est le grand écran encadré de doré et couvert d’un double rideau, évoquant le langage théâtral. Ce design établit un parallélisme entre le cinéma et le théâtre, similaire à la relation entre la photographie et la peinture, explorant la tension entre l’expérience unique et la reproductibilité.  

La coïncidence des noms entre Marc Saugey et Marc Augé introduit une dimension conceptuelle intéressante. En plus d’être des paronymes, leurs réflexions sur l’espace et la modernité présentent un contraste intrigant. Tandis que Saugey a conçu des espaces pensés pour l’expérience collective, intégrant l’ancien et le moderne dans un environnement architectural dynamique, Augé a théorisé sur les « non-lieux »3, des espaces impersonnels de la postmodernité comme les aéroports ou les centres commerciaux, où l’individu habite de manière anonyme et sans lien avec son environnement. En revanche, le Plaza Centre Cinema aspire à se consolider comme un « lieu anthropologique », un espace qui favorise l’identité, la communauté et l’appartenance autour du cinéma et de son expérience élargie.  

Le Plaza, projet d’affiches de Fabienne Radi. Photo : Raphaëlle Mueller.

La stratégie itinérante et Corps Cinétiques  

Tandis que la restauration du Plaza avance, la Fondation Plaza développe des projets itinérants pour étendre sa vision. Le premier d’entre eux, Corps cinétiques, commissarié par Elise Lammer et présenté à Art Genève 2024, marque le début d’une série d’initiatives en mouvement, telles qu’une collaboration avec le Pavillon Sicli et son retour à Art Genève en 2026.  

Corps Cinétiques explore la danse comme langage d’émancipation, de résistance et de libération, abordant des thèmes d’identité, de désir et de transgression. Son axe central est le mouvement, générant un dialogue intergénérationnel sur le genre, les dissidences et la sexualité. Le programme réunit des œuvres des artistes et cinéastes Luiz Roque (Modern, 2014), Richard Wenk (Vamp, 1986), Alexandra Bachzetsis (Notebook: Denim, 2023), Luca Guadagnino (Call Me By Your Name, 2017), Enad Marouf (Time of the Angel, 2020), Jean Genet (Un Chant d’Amour, 1950), Xavier Dolan (Les amour imaginaires, 2010), Tracey Emin (Why I Never Became a Dancer, 1995), Fritz Lang (Metropolis, 1927/2010) et Adrian Piper (Funk Lessons, 1983), fusionnant cinéma classique et contemporain. La répétition visuelle et la fusion des genres évoquent le cinéma expérimental, où le mouvement devient un moyen de transformation.  

Au-delà de son impact esthétique, Kinetic Bodies est une déclaration politique liée aux luttes pour les droits LGBTQ+ et la visibilité. La projection en boucle de 60 minutes plonge le spectateur dans une expérience rythmique évoquant la danse maniaque, un phénomène historique de transe collective où le corps se libère par le mouvement incessant. L’espace conçu par BUREAU fait référence à l’architecture modulaire américaine et au cinéma éphémère, établissant un clin d’œil à Saugey et à sa conception spatiale du cinéma.  

Ce premier projet itinérant confirme l’engagement de la Fondation Plaza en faveur de la dissidence et de l’émancipation, en portant sa mission dans différents espaces jusqu’à la réouverture du Plaza Centre Cinema en 2026. Ainsi, la fondation démontre que le cinéma et la danse restent des véhicules de transformation et de résistance. 

1 Geneva’s Cinematic Landmarks: The Preservation of the Plaza, Fondation Hans Wilsdorf, 2020. Rapport de la Fondation Hans Wilsdorf qui détaille la restauration du Plaza et son importance culturelle et architecturale pour la ville de Genève.
2 Peter K. Moser, Cinemas of the World: A History, Lausanne : Editions Favre, 2011. Texte qui approfondit l’histoire du cinéma en Suisse et comment des salles emblématiques comme le Plaza ont joué un rôle clé dans l’histoire du cinéma dans le pays.
3 Augé, Marc, Non-Lieux: Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Editions du Seuil, 1992.

Salle de cinéma historique du Plaza. Photo : Michel Giesbrecht.

Head image : Mark Cousins, Passé Présent Futur II, Le Plaza. Photo : Raphaëlle Mueller.

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