r e v i e w s

François Lancien-Guilberteau

par François Aubart

Ce que je crus voir cette nuit-là sous l’ironique lune jaune

Tripode, Rezé, du 11 janvier au 22 février 2014.

L’annonce de l’exposition de François Lancien-Guilberteau figurait dans les pages du précédent numéro de 02. Pas à proprement parler une publicité, il s’agissait d’une photographie de la porte de l’appartement de l’artiste sur laquelle son ami Corentin Canesson avait peint les informations de circonstance : titre, lieu, date de l’exposition et autres renseignements utiles. C’est cette porte qui nous accueille à l’entrée de Tripode. Elle ouvre aussi sur plusieurs questions qui parcourent l’exposition : celle relative à la prise en main d’informations génériques pour les faire siennes et celle de l’échange entre contexte privé et présentation publique.

Cette exposition est ainsi émaillée de pièces réalisées en collaboration ou en discussion avec des proches de l’artiste. C’est le cas, par exemple, de ces gros plans de pierre à aiguiser pour couteaux japonais. Images abstraites d’une activité, celle d’une technique particulière, elles sont présentées sur des cimaises peintes par Julien Monnerie. Ce soutien d’une pièce par l’autre indique un contexte d’échange et de partage d’idées important pour un artiste qui met ici en avant un « je » fragmenté et multiple. Cela se retrouve dans le titre de son exposition qui évoque une forme narrative autant que dans l’image qui figure sur certains documents de communication : on y voit François Lancien-Guilberteau qui prend la pose dans un éclairage et un noir et blanc typiques des clichés Harcourt. Façon, là encore, de souligner une identité construite qui oscille entre personne privée et personnage public.

Évidemment, il ne s’agit pas là d’un artiste fictif mais, tout comme les idées viennent bien plus souvent d’échanges que de la seule puissance créatrice, l’identité semble ici déplacée par la portée d’un regard qui construit ce qu’il observe. C’est ainsi que l’on peut aussi envisager les images d’une performance qui a consisté à maquiller Maëla Bescond en geisha lorsque celle-ci assurait le commissariat d’une exposition de l’artiste. La qualité de ces images et leur impression sur kakemono les placent directement dans les registres de la publicité pour cosmétiques et de l’attisement du désir; un désir qui se lit comme celui de faire sien, de posséder et de manipuler ; un désir sublimé par l’image. Car c’est surtout une représentation, privée et publique, que François Lancien-Guilberteau prend en main.

On retrouve dans plusieurs projets cet acte de possession au niveau symbolique. Ainsi, avec Pierre Paulin, François Lancien-Guilberteau prévoit la réédition du disque Atmospheres and Soundtracks de Brian Eno en gardant la musique inchangée mais en proposant une nouvelle pochette. Évidemment, là, l’autorité du musicien n’est pas la question. C’est bien plus une volonté des artistes de prendre position quant à leur relation avec cet album, une façon de considérer la mise en circulation qu’ils en proposent comme leur appréhension particulière.

Au sol, sur un socle, on trouve une affiche du film Altered States dans sa version polonaise. Le titre du film résonne avec cette image. C’est la même que partout ailleurs sauf qu’elle est peinte, comme c’est souvent le cas dans ce pays qui avait mis en place ce principe pour soutenir le métier de peintre publicitaire. Image assez saisissante pour rendre compte de la pratique de François Lancien-Guilberteau qui, dans un contexte où tout circule, souligne les façons dont un objet est transformé par les pratiques culturelles qui s’en saisissent. Qu’il s’agisse de remise en circulation, de représentation ou d’échange, on découvre ainsi qu’un objet ou une idée sont toujours modifiés par la personne et le contexte qui les énoncent.


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