r e v i e w s

Archipel à Thouars

par Pauline Lisowski

Archipel,
Parcours d’art visuel et sonore
Une proposition du centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc, Thouars.

Archipel, titre de ce parcours artistique visuel et sonore, nous transporte d’emblée dans un imaginaire géographique. Thouars archipel, tel est le point de départ du projet orchestré par Martial Deflacieux, directeur du centre d’art la Chapelle Jeanne d’Arc de Thouars : « Ce parcours est né de la nécessité de déployer l’activité du centre d’art hors-les-murs. Depuis des années, le centre d’art et le château d’Oiron tissent des liens, ces relations s’affinent et font naître un projet de coopération. Avec ce parcours, un réseau de nouveaux centres invite à stationner, à s’arrêter, à ralentir. » Archipel résulte d’une approche de terrain, d’une connaissance des usages, d’un tissu d’acteurs, d’un patrimoine à faire redécouvrir, de partenariats privé et public, allant du musée à des habitants. Ces rencontres et l’énergie des personnes contactées ont engendré un maillage fertile. En somme, les œuvres de 13 artistes sont à découvrir sur 22 sites. Comment arpenter un territoire ? telle est la problématique qui émane de cette première édition d’Archipel.

En 2022, le syndicat Mixte de la Vallée du Thouet, en partenariat avec le centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc de Thouars et l’association des écoles d’art publiques de Nouvelle-Aquitaine, le Grand Huit, avait initié un premier programme de commandes publiques. Les œuvres d’Hugues Reip ravivent une mémoire collective. Ricochets, titre de son projet, consiste en trois œuvres qui lient trois villes, par ricochet, par rebond. Souvenir de plage, mythologie d’un possible littoral, les micro-architectures de Corène Caubel jalonnent le parcours. L’artiste plasticienne et paysagiste fut invitée à faire émerger la mémoire du passé maritime de la ville de Thouars. Ses trois œuvres ponctuent le méandre du Thouet, nous invitant à imaginer le paysage il y a des millions d’années. 

Eugénie Chat, Danser en faucille, des acanthes au bournâis, 2024

Archipel continue de dessiner le territoire par l’expérience artistique.

Au château d’Oiron, l’installation vidéo de Julie Chaffort est née de son exploration des lieux abandonnés, délaissés, dont les histoires l’ont interpellée. Musiciens, chanteurs et comédiens ravivent des présences en ces bâtiments. Un récit se tisse durant l’heure bleue, vingt minutes, le temps de nous transporter dans des situations étranges, des espace-temps suscitant rêverie et interrogation. L’installation sonore de Thomas Schmahl est issue d’entretiens menés auprès d’habitants. De sa récolte d’enregistrements de paroles, il en a extrait des souffles et des respirations. Sa composition sonore résonne en nous, nous parle, nous reconnecte à notre propre organisme. Quoi de plus intime que notre souffle ? Le pendant sculptural de cette œuvre se découvre dans l’église Saint Martin Les Baillargeaux à Noizé, à quelques kilomètres. Dans une partie du château en travaux, la vidéo de Charly Bechaimont évoque les conditions de vie précaires de la communauté des voyageurs. Son processus filmique tient de l’urgence de dire, de donner à voir la fragilité des habitats, dans un ton proche du burlesque. Également sur les murs de l’église, son installation Cour d’exercice ne se donne pas tout de suite au regard. Une paire de chaussures, en haut du mur d’entrée, évoque un état en suspens, une tentative de bouger malgré tout, une prise de risque, une action furtive… L’une d’elle abrite une vidéo qui nous laisse apercevoir la flamme d’une allumette, un geste filmé qui nous happe, nous attrape comme pour nous dire quelque chose de la vie des personnes à la marge.  

À la chapelle Jeanne d’Arc, centre d’art d’intérêt national, l’installation de Pierre Labat invite à cheminer en prêtant attention à des tapis de feuilles d’olivier moulées en céramique, dispersées, vers différentes directions. L’artiste les a disposés avec soin et précision de manière à redéfinir l’espace de ce lieu désacralisé, situé sur une place centrale de la ville de Thouars Dans la crypte, l’ordonnancement de ses 14 peintures fait écho au chemin de croix. Trois installations de branches de bois récoltées sur un assemblage de carreaux de faïence blanc, se donnent à voir tels des gisants. La création sonore de Sylvain Chauveau complète l’accrochage : trois atmosphères, elles-mêmes en réponse aux ponctuations sonores des églises. Cette exposition invite à passer du temps à observer l’architecture et à s’émerveiller en observant le passage de rayons de lumière selon les moments de la journée. Avant de reprendre la route vers d’autres contrées, les plus curieux prendrons temps de faire quelques pas supplémentaires jusqu’au conservatoire de musique et de danse, où les installations de Simon Boudvin, des « sculptures documentaires » telles qu’il les nomme, réalisées entre 2014 et 2015, dans le cadre d’un 1% artistique, incarnent un pan de l’histoire architecturale du bâtiment.

Un petit détour vers le domaine de Fleury où la jeune artiste Eugénie Chat, après avoir découvert la présence de deux essaims d’abeilles, a pris soin de créer un abri pour ruches, en revisitant une technique artisanale. Son installation in situ, dont l’accès fut dessiné en suivant le chemin d’un couloir de ces insectes, tient de sa volonté d’accueillir le vivant non-humain.

Prenons maintenant la direction du sud de Thouars vers le musée municipal Jacques Guidez à Airvault, lieu d’accueil de l’exposition Friselis. Dans l’espace d’une ancienne cellule, deux artistes ont composé un jardin où la vie semble être en suspens. Marjolaine Turpin a cueilli des lamiers pourpres, plantes spontanées qui poussent sur des sols divers et les a stabilisés, puis les a « replantées ». Les sculptures de Marion Chambinaud s’apparentent à des roches blanches, à la limite de se briser : Un bel ensemble de pièces délicates qui invitent à méditer sur le temps qui passe et à regarder avec attention les végétaux qui poussent dans les espaces du quotidien.

Au nord de la ville, dans la prairie du château de Louzy, les sculptures de Simon Feydieu, assemblages de prises de vue agrandies d’images de ce qu’il observe dans son atelier, suggèrent des chimères, entre organisme vivant et machine. À la limite entre stabilité et mouvement, ses œuvres invitent les promeneurs à y voir toute sorte d’éléments, à y projeter des formes : une sorte de jeux de reconnaissance, de projection mentale. 

L’expérience de ce territoire s’appréhende également par le biais du sonore. Telle est la proposition de Julien Poidevin. Sa ballade sonore géolocalisée est le fruit d’une collaboration avec des historiens, des archéologues, des personnes du conservatoire de musiques et de danses : des moments où s’arrêter pour laisser son imagination nous transporter ailleurs.

Ainsi, la métaphore de l’océan invite à regarder autrement un paysage agricole. Les habitants, qui ont pour certains participé à la création des œuvres, redécouvrent poétiquement leur territoire. La création artistique se vit au-delà du centre d’art et du lieu patrimonial, deux grandes îles à partir desquelles effectuer des traversées vers d’autres ilots. 

Simon Feydieu, Mummy, 2024


Head image : Corène Caubel, La pêcherie des vignes, 2019


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