Guillaume Constantin, Arrondir les angles
Eternal Gallery, Tours, du 17 mai au 5 juillet
Tout un pan du travail de Guillaume Constantin semble viser à fondre dans un même mouvement l’objet et la sculpture, à activer l’un(e) par l’autre dans un rapport d’égale dépendance. Cette approche se cristallise particulièrement dans la série d’installations Fantômes du Quartz dont le titre aussi programmatique qu’évocateur1 suggère une stratification de matières et de temporalités, un réservoir à histoires et à mémoires ne s’inscrivant plus tant dans une généalogie des pratiques héritées du readymade que dans l’exploration formelle et culturelle d’un territoire du sensible.
Comme un certain nombre d’artistes de sa génération, Guillaume Constantin s’intéresse à la collection, aux cadres et conditions de sa constitution comme à son potentiel discursif et narratif. Cependant, son travail consiste moins à présenter les évolutions d’un ensemble cohérent rigoureusement amassé au fil des années, qu’à favoriser, dans un espace-temps donné, la convergence et la rencontre d’objets de nature et de provenance diverses. De cette réunion impromptue et des agencements qu’elle induit se dégagent les enjeux d’une mise en circulation et en lumière des formes autant que les paramètres d’une instabilité venant renégocier l’échelle des valeurs habituellement en cours dans les systèmes de classification.
Aussi cette logique trouve-t-elle toute sa place à l’Eternal Gallery logée dans les anciens octrois de Tours par où transitaient, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les marchandises soumises au prélèvement fiscal. Guillaume Constantin reprend à sa manière cette inscription économique en y faisant cohabiter sans hiérarchie des éléments extirpés de la gypsothèque de l’école des Beaux-Arts de Tours, des Archives municipales ou de son fonds personnel, mais aussi, histoire de brouiller davantage les questions de l’origine et de la qualité tout en jouant à plein celles de la transmission et l’accessibilité, des objets restaurés ou réalisés par une imprimante 3D à partir de fichiers open source ou de pièces ne pouvant être empruntées. Ce cabinet de curiosités se révèle remarquable par « la pauvreté » et l’étrangeté de ces formes décontextualisées, sans espoir d’être un jour exposées dans un musée, mais dont l’aspect décalé et difficilement identifiable leur confère un inattendu pouvoir d’évocation, une attirance engageant autant le regard que le toucher.
Pour accueillir cet ensemble hétérogène, Guillaume Constantin conçoit, comme à son habitude, une structure, sorte de squelette, à partir de différents matériaux semi-industriels (médium teinté, contreplaqué, éléments décoratifs façon Louis xvi). Avec ce « meuble » aux airs de machine mnémonique, il fait glisser les enjeux de la sculpture vers ceux de la muséographie et de la scénographie, produisant un « hypersocle » qui fait œuvre en soi tout en remplissant une fonction de monstration, selon une certaine conception de l’autonomie. Quelque part entre Haim Steinbach et Robert Morris, mais aussi dans un va-et-vient permanent entre rapport affectif aux objets et mise à distance par la sculpture, Guillaume Constantin propose des dispositifs propres à la spéculation et au jeu de piste, dans les plis et replis desquels se tapissent une multitude d’histoires potentielles.
L’artiste file d’ailleurs la métaphore deleuzienne à travers le titre de l’exposition et par le recours au vocabulaire baroque de la courbe et du plissé. Ainsi, à l’étage supérieur de la galerie qui abritait le logement du gardien de l’octroi, recouvre-t-il les murs de lés de liège isophonique pendant en drapé jusqu’au sol. Les caractéristiques et l’odeur de ce matériau singulier reconfigurent l’espace en cellule monacale propice à explorer les « plis dans l’âme ».
Quant aux fantômes, ils sont évidemment partout, dans les pièces qui se dissimulent ici et là dans l’exposition, dans ces objets si particuliers qui attirent l’attention sur un détail ou une texture, dans les Everyday Ghosts, série de photos présentée ici sous forme de journal, dans lesquelles du quotidien surgit soudain le fantastique. C’est cette latence, cette manière d’appréhender les choses par la marge ou par les bords, dans un double mouvement d’extrême subjectivité et de neutralité, qui semble motiver la pratique artistique de Guillaume Constantin. Il faudrait par ailleurs passer en revue les titres de ses expositions personnelles2, on y découvrirait sûrement, se constituant peu à peu en index, les clés de lecture d’une œuvre où cohabitent fugacité, mise en mouvement, réemploi et persistance de l’objet et de l’image.
1 Cette série tire son nom du quartz fantôme, un cristal dont la transparence laisse apparaître très nettement les différents stades de sa croissance, mettant ainsi en lumière une accumulation d’époques et de spectres figés dans la matière.
2 « La Constante des variables », Crac Languedoc-Roussillon, Sète ; « Penser les objets par les bords », Mac/Val, Vitry-sur-Seine ; « Si personne ne me voit je ne suis pas là du tout », Cryptoportique, Reims.
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- Du même auteur : Oriol Vilanova, Elad Lassry, Raphaël Zarka, Riding Modern Art, Liz Magic Laser, Matteo Rubbi,
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