Guillaume Constantin, « Si personne ne me voit je ne suis pas là du tout »
Frac Champagne-Ardenne au Cryptoportique, Reims *, du 10 mai au 22 juin 2014.
Les œuvres de Guillaume Constantin, dans leurs relations entre elles comme dans leur singularité, apparaissent toujours à la fois précisément pensées et parfaitement instinctives. Le paradoxe n’est qu’apparent, c’est le propre du travail de Guillaume Constantin que de concilier cet antagonisme, et quelques autres. Son exposition au cryptoportique de Reims en est exemplaire : dans un espace ample et architecturalement fort, il inscrit une proposition qui semble moins in situ que faisant déjà partie du lieu. Entre les piliers qui séquencent l’espace, il a suspendu des lés de l’un des matériaux techniques qu’il affectionne, un mélange de liège et de caoutchouc. Bien qu’elles structurent le parcours du spectateur, les formes mises en place semblent presque appartenir au lieu et, selon la position que l’on occupe, peuvent même disparaître.
Si l’intervention, de facture post-minimaliste, s’intègre si facilement à l’édifice gallo-romain, c’est qu’elle établit une zone franche. Comme souvent chez Guillaume Constantin, le matériau « pense » : le recours à ces matériaux techniques n’est pas un choix de neutralité mais plutôt le parti pris d’une opérativité. Habituellement choisis pour leurs propriétés, les plaques de médium teinté, les isolants thermiques et soniques ou les bois traités déploient là des qualités propres. Conçus pour structurer et fonctionner à couvert, ils tissent avec les lieux dans lesquels ils sont mis en œuvre, des échos formels et conceptuels.
À Reims, comme dans les récentes expositions de l’artiste à Sète ou à Montreuil, la mécanique de l’œuvre s’amorce par le choix et la voix propre de chaque matériau. Ce qui semble au premier abord une nonchalance vis-à-vis du travail s’avère être un geste sculptural accompli. En procédant ainsi, Guillaume Constantin résout le rapport conflictuel entre les tropes minimalistes et la question de la sensibilité. Ce qui est notamment en tension dans le travail de Robert Morris, cette tentative de conciliation entre expression et neutralité des formes, trouve ici une solution. Le matériau n’intervient plus seulement comme support d’une forme, il est la base d’un mouvement d’archéologie critique. Son choix, comme celui du protocole par lequel il se déploie, fonctionne comme un révélateur du site. En utilisant des encoches existantes dans les piliers, l’artiste court-circuite la fonction patrimoniale du bâtiment pour en remobiliser les fonctionnalités d’origine. Les lés qu’il y installe font simultanément signe vers le display et vers le drapé ; la neutralité même de l’intervention et de son protocole permet d’ouvrir tout un répertoire de formes.
Dans ce jeu, Guillaume Constantin semble intervenir à peine, réfléchir à des questions annexes, travailler en bordure. Il semble se préoccuper du lieu, des objets, des matériaux, comme s’il s’agissait avant tout de les réunir sans heurt, de littéralement les « mettre en cheville ». C’est en se faisant l’ingénieur de son propre travail qu’il rend possible une circulation féconde entre ses œuvres et l’entours. Le résultat n’est jamais autoritaire, il est toujours un mouvement circulaire par lequel l’œuvre éclaire le contexte et le contexte, en retour, éclaire l’œuvre.
- * Programmation hors les murs du Frac Champagne-Ardenne.
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- Du même auteur : Haim Steinbach à la Serpentine, Londres, The Secession Sessions, Guillaume Bijl, 1966-79,
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