Gustav Metzger, « Supportive 1966-2011 », l’exposition
au MAC Lyon, du 15 février au 14 avril 2013
S’agissant de cet apôtre de la destruction, on se dit que le décor est plutôt solidement construit : la toute nouvelle acquisition du Musée d’art contemporain de Lyon, Supportive, est l’œuvre la plus volumineuse que Gustav Metzger ait réalisée jusqu’ici (si l’on excepte celle qu’il avait imaginée pour la biennale de Sharjah qui consistait à remplir de gaz d’échappement issu d’une centaine d’automobiles une énorme structure gonflable [1]) puisqu’elle remplit littéralement le dernier étage du musée. Il est facile de placer Metzger dans la catégorie « artistes écolo » si l’on considère comme un manifeste une pièce telle que celle que l’on vient de décrire : on peut y voir le sort d’un espace fini qu’une activité inconsidérée autant que malodorante finit par saturer de ses déjections létales, allégorie à peine voilée du devenir de notre belle planète… Mais ce serait réduire la dimension d’une œuvre qui ne peut s’accommoder d’une quelconque idéologie ou pensée dominante. L’installation de yon vient justement déjouer une telle lecture en rassemblant fort judicieusement les deux phases d’une œuvre et en montrant que la dimension philosophique, sociale et politique de l’artiste s’est toujours mise au service d’une pratique sans concession aucune. D’une sobriété extrême, elle ne s’embarrasse pas d’effets scénographiques inutiles : une légère pénombre nimbe l’intégralité du dispositif et propose deux options de visite, celle de la « scène » ou celle des « coulisses ». Les cimaises / écrans qui séparent l’espace d’exposition en deux ménagent sur la gauche un passage le long duquel sont alignés et enchâssés dans de petites niches lumineuses des extraits de l’ensemble des manifestes de l’artiste tandis que de l’autre côté de cette « paroi » se déploie Supportive. La pièce est composée de sept projections qui, mises bout à bout, forment un demi-cercle de vingt-huit mètres de long englobant la totalité du champ de vision. La simplicité de la mise en scène rend hommage à la radicalité d’une pratique en affichant la complète adéquation de l’œuvre écrite à l’œuvre plastique.
Gustav Metzger est arrivé en Angleterre en 1939 après avoir échappé par miracle aux camps d’extermination nazis, tandis que sa famille y était engloutie : cette « anecdote » biographique a une grande importance puisque tout au long de sa carrière il a continué à s’interroger sur la possibilité de faire de l’art après l’holocauste. Les différents manifestes qu’il a rédigés depuis le premier, en 1959, portent la marque de cette interrogation sur le caractère destructeur de la civilisation scientifico-technique qu’il réussit à transcender en pensant l’œuvre d’art comme une réponse à ce « déterminisme » : de fait, et pour résumer brièvement la part philosophique de son œuvre, la destruction n’est plus envisagée chez lui comme une fatalité mais plutôt comme une phase précédant la nécessaire régénération ou lui succédant. La pensée de Metzger peut s’analyser comme une mise à distance des ravages de la civilisation, donc comme une certaine forme de résilience face aux épreuves subies, et offrir une dimension contemplative des phénomènes de destruction et de régénération cycliques de la nature. Cependant, cela ne veut pas dire que l’artiste soit insensible aux thèses écologiques – bien au contraire – puisque nombre de ses pièces portent la marque d’une réelle attention à cette pensée, notamment Flailing Trees, qui montre des arbres renversés au feuillage pris dans du béton. C’est certainement ce qui rend complexe la perception d’une œuvre où alternent des actions violentes teintées de militantismes divers et des œuvres plus « zen » : la violence de Metzger s’exerce volontiers envers les formes admises de la représentation et les symboles établis du pouvoir (comme la performance fondatrice où il détruit littéralement à l’acide un tableau en nylon [2] et celle où il s’en prend à une automobile à laquelle il fait subir les pires outrages [3]). Il y a chez lui une forme d’acceptation du caractère autodestructeur et autorégénérateur de la nature et des éléments tandis que de manière symétrique il s’attaque à ce qu’il considère comme des manifestations trompeuses de la stabilité sociale : d’où son anarchisme radical, ses diatribes enflammées contre l’ordre marchand et les galeristes en particulier, et son inappétence pour toute forme de consensus. À Lyon, tous les ingrédients sont réunis pour mettre en place une œuvre profondément immersive : les spectateurs ne sont pas assis sur de simples chaises mais allongés sur des coussins géants qui facilitent la « relaxation » et accentuent le côté hypnotique de l’installation. Quant aux images elles-mêmes, elles sont produites par l’agrégation et la désagrégation de microscopiques amas de cristaux liquides pris entre deux lames de verre et qui, sous l’effet du réchauffement suivi du refroidissement des lampes des projecteurs, migrent lentement en produisant des effets colorés proprement psychédéliques (qui ne sont pas sans rappeler par ailleurs les effets hypnotiques des fameuses lava lamps). Le « scénario » de cette fausse installation vidéo est totalement livré à l’aléatoire des phénomènes physico-chimiques ; l’œuvre ainsi créée est le produit d’un cycle de destruction-régénération qui correspond parfaitement à la philosophie de l’artiste qu’elle exprime dans une sorte de manifeste ultime…
- ↑ Project Stockholm June (Phase 1), 2007, 8e biennale de Sharjah.
- ↑ Southbank demonstration, Londres 1961.
- ↑ Kill the cars, 1996.
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- Du même auteur : Arcanes, rituels et chimères au FRAC Corsica, 9ᵉ Biennale d'Anglet, Biennale de Lyon, Interview de Camille De Bayser, The Infinite Woman à la fondation Carmignac,
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