Hamish Fulton, A Walking Artist, au Frac Sud
Du 25 mars au 29 octobre 2023
En partenariat avec le Cairn, Centre d’art, Digne-les-Bains.
L’artiste anglais revient dans nos contrées après une longue absence : c’était la même Muriel Enjalran, aujourd’hui directrice du Frac Sud (la nouvelle appellation du Frac Provence-Alpes Côte-d’Azur) qui l’avait invité au Centre régional d’art contemporain de Sète pour la plus grande exposition monographique en France de cet artiste1. À l’occasion de cette invitation, Hamish Fulton a réalisé une marche de 21 jours dans le Mercantour en juin 2022, marche, qui comme la plupart de ses expéditions, lorsqu’elles débouchent sur une exposition, a donné lieu à la production de prises de vue, de dessins, de photos-textes et autres pièces que l’on retrouve accompagner ses grandes œuvres murales.
D’une manière générale, ce qui caractérise l’art de Fulton est une réticence à produire des artéfacts, autrement dit des objets de tout ordre susceptibles par la suite d’être commercialisés dans le cadre d’une galerie ou via d’autres canaux. Fulton est avant tout un marcheur qui place l’expérience que procure la marche comme sa seule et véritable production « artistique », refusant par la même occasion d’être considéré comme un Land artist, bien que de nombreuses anthologies de l’art contemporain n’ont pas manqué de l’incorporer dans le bataillon des « artistes du paysage. » Mais ce refus s’explique assez logiquement par la nette séparation qu’il entend conserver entre ces derniers auxquels il reproche de bousculer et de déranger un environnement sauvage, à l’instar d’un Robert Smithson et de sa Spiral Jetty ou d’un Michael Heizer avec ses assez lourdes interventions dans le désert du Nevada comme Double Negative, et sa propre démarche qu’il estime ne pas apporter de modifications substantielles à l’ordonnancement des sites traversés, si ce n’est l’empreinte de ses pieds créée par son passage. Il est toujours problématique pour un curateur ou une curatrice d’exposer les œuvres d’un artiste sans œuvre. Aussi les pièces présentées lors de ses différentes expositions ressortissent plus à d’autres catégories que celles communément croisées dans le cadre d’une exposition « normale » avec une typologie d’œuvres déplaçables, elles appartiennent à la catégorie de la trace, du document, de l’archive photographique, bien que s’agissant de cette dernière catégorie, les photos de site de Fulton ne laissent pas de nous rendre un peu perplexe, présentant tous les signes d’œuvres photographiques parfaitement encadrées et donc commercialisables.
Mais les traces de ses passages ne forment pas l’essentiel, ni du travail de l’artiste, ni de ses expositions, qui, selon un rituel assez récurrent, sont plutôt composées de grands wallpaintings qui témoignent des traversées à pied qu’affectionne particulièrement Hamish Fulton. Ces dernières se divisent en deux catégories bien distinctes : une première qui réfère à une marche effectuée à une époque donnée et suivant un périple reliant en général deux points de la carte (clairement inscrits sur la peinture murale), une seconde composée d’un alignement vertical de mots qui relèvent plus spécifiquement du slogan protestataire ou encore de l’affichage politique, à l’instar du monumental wallpainting qui déploie les mots CHINESE, ECONOMY, TIBETAN, JUSTICE, TIBETAN, FREEDOM, SILENCE, sur toute la hauteur de la cimaise du plateau du Frac. Il est à noter par ailleurs que l’artiste réussit toujours à inscrire des mots du même nombre de lettres, ces dernières composant des bandes verticales qui accentuent l’impact visuel de ces pièces et de fait l’aspect militant de son travail.
D’une exposition à l’autre, le style ne varie guère : même économie de moyen, même emploi systématique des couleurs primaires, mêmes aplats bleu franc qui renvoient à la pureté des ciels immaculés de l’Himalaya, rares incursions dans les fonds gris : Fulton, à défaut d’être un Land artist, est un peintre minimaliste recourant à une palette de couleur et à un vocabulaire expressif pour le moins réduits (du moins s’agissant de ses wallpaintings) : des fonds colorés monochromatiques sur lesquels émargent la date et le parcours effectués tandis que la chaîne de montagne parcourue est figurée par une simple ligne brisée. Sinon ce sont des symboles qui réfèrent à une imagerie de type mandala, soit encore le descriptif de ses expéditions : un simple lettrage sur fond monochrome orné d’un disque jaune.
Les wallpaintings sur lesquels figurent des textes à caractère dénonciatoire possédent un intérêt réellement spécifique par rapport au reste de sa production et s’il fallait donner un exemple de travail où le politique s’imbrique aussi « naturellement » dans l’artistique, c’est bien celui de Fulton où les « wallpaintings-slogans » se succèdent aux « wallpaintings-peintures » sans qu’il y ait la moindre rupture de style : il s’agit bien d’une continuité formelle qui embrasse l’ensemble de ses grands « tableaux ». L’Everest et les grands sommets de l’Himalaya occupent une place particulière dans la vie et la pratique de l’artiste : il s’y est rendu à plusieurs reprises, a escaladé plusieurs sommets de plus de 8000 mètres et a suivi la fameuse circumnavigation (Kora) autour du mont Kailash, la montagne sacrée des Bouddhistes et des Hindous. À l’instar des moines tibétains, Fulton pratique une philosophie empirique de la sobriété de même qu’il professe un détachement à l’égard des biens matériels qui se retrouve dans une production restreinte d’œuvres commercialisables, ainsi que dans ce qui constitue le fondement de sa pratique, la marche. Cette dernière est un des constituants essentiels, si ce n’est le principal, du pèlerinage, que ce soit celui des chrétiens vers Compostelle, des musulmans vers la Mecque ou encore des Bouddhistes autour du mont Kailash. L’art de Fulton possède-t-il une dimension religieuse pour autant ? Tout ce que l’on peut dire c’est que cette attention extrême aux espaces sauvages et la mise en avant de l’expérience sensible et spirituelle de la marche le rapprochent de certaines positions du bouddhisme. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il reste dans une bulle méditative et distanciée : son travail est résolument engagé, ses tableaux parlent clairement de la situation des Tibétains dont il dénonce à longueur d’exposition l’exploitation et les exactions commises par les autorités chinoises à leur encontre. L’exposition au CAIRN à Digne, réalisée en coopération avec celle du Frac de Marseille met particulièrement en exergue cette dimension de l’art de Fulton : les deux wallpaintings, pièces principales de l’exposition, sont celles qui réfèrent à la « disparition » des deux moines bouddhistes, Palden Gyatso et Champa Tenzin.
Fulton ne se contente pas de dénoncer le néo-colonialisme du gouvernement chinois mais aussi la complicité de Google qui a fait disparaitre de ses moteurs de recherche le nom des deux moines pour ne pas déplaire au régime de Pékin et risquer de s’aliéner un marché de plusieurs centaines de millions d’usagers, mais que l’incitation de Fulton à multiplier les recherches sur ces deux noms, compte tenu du fonctionnement algorithmique de Google, contribue à faire réapparaitre.
1 http://crac.laregion.fr/artiste_contemporain/675-hamish–fulton/3172-artistes-art-contemporain-crac-montpellier-sete.htm
______________________________________________________________________________
Head image : Hamish FULTON, “A Walking Artist”, vue de l’exposition au Frac Sud, 2023 © Photo : Laurent Lecat – Frac Sud
- Publié dans le numéro : 103
- Partage : ,
- Du même auteur : Modern Love au musée d'art contemporain d'Athènes, L’Île intérieure à la Villa Carmignac , Interview Anne Bonnin, Augustin Maurs, The Music chamber à Artgenève, Garush Melkonyan, Cries from Earth,
articles liés
9ᵉ Biennale d’Anglet
par Patrice Joly
Anna Solal au Frac Occitanie Montpellier
par Vanessa Morisset
Secrétaire Générale chez Groupe SPVIE
par Suzanne Vallejo-Gomez