Hemali Bhuta
Subarnarekha (La Ligne d’or), Centre international d’art et du paysage de l’île de Vassivière, 3.12.2017 — 11.03. 2018
Dans la culture japonaise, kintsugi qui signifie « jointure en or », désigne une technique artisanale consistant à réparer une porcelaine ou une céramique brisée au moyen d’une laque saupoudrée d’or. Cette technique est considérée comme un véritable art au même titre que la céramique. Par sa fêlure, puis par sa réparation, l’objet en devient d’autant plus précieux, l’or augmentant sa valeur. Dans les pratiques contemporaines, l’or continue d’apporter une valeur monétaire et valeur esthétique de premier ordre, mais trop souvent de manière ostensible voire grossière, entraînant ainsi de nombreux collectionneurs à acheter des œuvres dorées et à pousser des artistes à user de cette matière de manière compulsive.
Dans l’exposition présentée par Hemali Bhuta au Centre international d’art et du paysage de l’île de Vassivière, l’or n’apparaît que pour mieux se dissimuler en permanence. Il est une présence discrète, quasi invisible, qui constitue le fil de l’exposition. Le titre « Subarnarekha » en est le révélateur, il signifie en hindi « la ligne d’or ». C’est aussi le nom d’un fleuve d’où l’on extrayait autrefois de l’uranium, du cuivre et de l’or. À travers sa culture indienne, l’artiste s’intéresse à la valeur de ce matériau. L’or fait partie, dans son pays, des coutumes sociales et religieuses. Il est porteur de nombreuses vertus. Premièrement, il permet d’assoir une position au sein de la société grâce aux bijoux portés. Il a aussi des qualités ayurvédiques et est utilisé dans la médecine pour soigner et soulager des douleurs. Hemali Bhuta s’inspire des valeurs politiques et économiques que transmet l’or en Inde pour l’inscrire dans les réflexions qu’elle mène dans sa pratique. Néanmoins, elle se rapproche plus de la technique du kintsugi lorsqu’elle produit : elle « répare » des objets en les déplaçant de leur valeur d’usage vers une valeur sacrée. Elle créé un passage, une déchirure qui traverse l’exposition et nous mène de l’extériorité à l’intériorité, d’une idée formelle à une idée mentale. En ce sens, son travail peut apparaître comme une sorte de méditation et s’inscrit dans une certaine spiritualité.
En résidence à Vassivière dans le cadre de la production de son exposition, elle est allée prélever des matériaux chez les artisans locaux, dans le but de révéler aussi les savoir-faire et de préserver les traditions. Ces différentes rencontres lui ont permis d’apprendre des techniques mais aussi de récupérer des matériaux qu’elle présente ici : paillasson rempli de poussière, ancienne matrice pour frapper l’or, panneaux de bois moisi, chutes de plomb. Tout passe des mains de l’artisan aux siennes d’une manière surprenante. Car, si elle intervient, c’est du bout des doigts, pour à peine modifier et surtout magnifier. Dans la salle principale, elle présente une série d’œuvres issues des rencontres avec les entreprises régionales. L’ensemble fonctionne comme un paysage minutieux et subtil. Les œuvres sont des apparitions modestes où les matériaux pauvres, les objets abîmés et oubliés contiennent de manière ponctuelle des traces d’or. C’est en s’approchant et en s’accroupissant qu’il est possible de découvrir les détails et de différencier ce qui a été prélevé de ce qui a été fait. De plus, l’artiste s’amuse à travailler des matériaux fragiles et éphémères. Elle a collaboré avec le Moulin du Got, association qui assure et sauvegarde les anciens métiers de la papeterie, afin de réaliser un papier qu’elle voulait aussi fin qu’un sari. Elle y a incrusté des fils et des feuilles d’or qu’on insère normalement dans le tissu. Elle a ensuite ajouté du curcuma à l’ensemble. Dans la tradition indienne, le sari ne doit surtout pas être taché d’épices. Ici au contraire, elle salit le papier volontairement. Si ce qui semble le plus précieux dans cette œuvre sont les traces d’or, c’est en réalité le papier, dans la complexité de sa fabrication et sa finesse, qui est le plus raffiné. Derrière le geste se cache une réflexion plus large sur l’apparence. Pour l’artiste, cette dernière est toujours décevante. En ce sens, elle utilise souvent des matériaux qui vont lui faire défaut et qui, par leur fragilité, vont finir par disparaître. L’exposition de Vassivière est d’ailleurs le troisième volet d’une série qu’elle avait présentée dans sa galerie indienne Project 88. Elle y avait travaillé de manière monumentale le savon et la cire qui avaient pour vocation de se dérober à l’espace malgré leur aspect robuste. Elle présente à Vassivière des maquettes de ce qu’il reste de ses anciennes expositions. Refusant la disparition complète des objets qui ont hanté ces précédents projets, elle en fait des sortes de miniatures. Réduits à une échelle moindre, ils sont les traces recomposées d’un passé qu’elle met sous cloche.
- Publié dans le numéro : 85
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- Du même auteur : Núria Güell, Lydia Gifford, I Am Vertical / Je suis verticale, Nicolas Momein, Everyone is light, you are light,
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