Hoël Duret à la MABA
Hoël Duret, Morning Sun,
MABA – Fondation des Artistes, 20.04 – 16.07
Hoël Duret propose à la MABA une nouvelle occurrence de LOW, projet au long court, qu’il déploie et augmente à chaque invitation. De contextes en contextes, d’œuvres en œuvres, se tisse alors une grande arborescence, sans début et sans fin, aux multiples ramifications, à la manière de l’Infinie Comédie de David Foster Wallace. Il présente ici des fragments de précédentes étapes, comme des corps de méduses en latex dispersés dans l’espace d’exposition ou simplement suggérés par des traces. Il opère des recompositions formelles, à partir d’un principe technique simple, un tube en LED qu’il modèle selon l’espace. Ici, dans le vestibule, l’architecture bourgeoise et ses bas-reliefs sculptés sont traversés d’un éclair blanc qui s’enroule sur lui-même. S’ajoutent également des productions spécifiques comme le film Things went South qui nous plonge dans l’infini grand du cosmos, à moins que ce ne soit l’infiniment petit d’une vue au microscope. Toutes ces fractions, considérées comme des personnages, vont et viennent, et s’insèrent dans une esthétique foisonnante, mais uniforme qui nous prend par la main et nous guide dans ce dédale. On pénètre un monde où le futur est déjà à l’œuvre, où les utopies craquèlent de technologies en technologies. La lumière du jour se fait absente, recouverte de filtres, ponctuée d’éclairages LED ou de la lumière des écrans, puis carrément remplacée par une obscurité bleutée ou un lever de soleil artificiel. Le contact avec la réalité s’évapore progressivement, et à la place, c’est un paysage post-moderniste qui se dévoile : les ordinateurs et processeurs qui assurent certains dispositifs sont laissés visibles, les écrans fusionnent ici et là avec des méduses. Inspirée par le premier ordinateur quantique et sa forme cylindrique, une structure métallique luminescente devient lieu de culture pour une plante, dont la croissance fait descendre vers le sol ses feuilles, les entremêlant avec des câbles électriques. Cette liane, tout droit sortie d’une science-fiction hybride, permet de saisir le potentiel fictionnel des technologies digitales qui ne connaît pas de limite et nous immerge dans le règne de la machine-pilote. L’exposition se révèle comme un grand récit, scandé par ces pulsations high-techs, et y avance en traversant des espaces narratifs volontairement cryptiques. Hoël Duret s’attache en effet à mettre le cerveau humain et ses capacités d’absorption de l’information à l’épreuve et le ton est donné dès le début de l’exposition, avec un texte mural extrait de Everything and More, a compact History of Infinity de David Forster Wallace et retravaillé avec des emoji par l’artiste. On y lit entre autres « qu’il y a un point aveugle au centre notre vision que notre cerveau complète automatiquement ». Autrement dit nos perceptions sont incomplètes, leur fiabilité questionnée à l’aune d’un relativisme absolu. On retrouve aussi l’influence de Thomas Pynchon et de son esthétique équivoque, celle-là même qui engloutit et nous perd dans une réalité nébuleuse, qui brouille nos sens et altère notre faculté de discernement. Hoël Duret en joue d’ailleurs, dans ses toiles recouvertes d’un voile miroitant posé sur des haut-parleurs. Ces derniers s’activent sporadiquement, à des bases fréquences inaudibles pour l’oreille humaine, mais dont les vibrations font tressauter les toiles et trembler notre reflet. Pourtant, quand les miroirs s’agitent ainsi, déréglant notre perception visuelle, l’œil arrive à garder un cap, et les traces de méduses déposées à la surface des miroirs, restent, elles, bien fixes et immobiles. Sur un autre registre, l’artiste vient mettre en scène nos défauts d’entendement. Dans un même écran coexistent deux vidéos superposées. En fond, une fête organisée pour être filmée, pendant le COVID, rassemblant des inconnus invités par une coiffeuse. Au premier plan, trois personnages dans des transats, qui discutent de tout et surtout de rien, une sorte de small talk poussé à l’extrême, une déraison à la Bouvard et Pécuchet, où le sens et le dialogue sont dilués par l’impossibilité de s’écouter réellement.
Sans pouvoir s’en remettre à notre raison, ni encore à nos perceptions, nous sommes entrainés vers un lâcher-prise, un abandon en mode automatique, porté de capsule en capsule par des compositions sonores hypotoniques, sur des rythmes répétitifs et des sonorités électroniques. Pensées comme partie intégrante de chaque œuvre, elles créent un lien par leur résonance et nous attirent jusqu’à l’installation finale. C’est une rencontre stupéfiante qui nous attend. Dans la lumière orangée du lever de soleil, se détachent une silhouette assise, un corps d’adolescent, chaussures en cuir cirées, chemise boutonnée jusqu’en haut, jusqu’à sa tête de renard. Son visage humain est en effet remplacé par un filtre Instagram, animé de mimiques et de grimaces et dont les yeux – qui sont ceux de l’artiste – semblent suivre les déplacements du visiteur. Il semble vouloir nous parler, mais sa voix grave et envoûtante vous entoure de sa conversation énigmatique, que l’artiste a composé à partir de bribes de ses conversations sms. À la fois captivante et repoussante avec ce qui semble être le maître des lieux, cette rencontre nous fait relire et reparcourir dans l’autre sens l’exposition, comme si depuis le début l’on s’était introduit chez quelqu’un.
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Head image : Quantum, 2020. Vue de l’exposition d’Hoël Duret, Morning Sun, à la MABA, 2023. Photo : Aurélien Mole © Hoël Duret / Adagp, Paris, 2023
- Publié dans le numéro : 104
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- Du même auteur : Moffat Takadiwa, Stanislas Paruzel à 40mcube, EuroFabrique en Roumanie, June Crespo, Mathilde Rosier et Ana Vaz au CRAC Altkirch, Anne Laure Sacriste,
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