Interview de Camille De Bayser
Jakmousse +-, ne pas confondre avec Jacquemus, est une association qui a investi l’usine éponyme et ses locaux à la périphérie de Montreuil. Fondé par Camille de Bayser, ancienne directrice de la galerie White Projects à Paris, Karine Scherrer créatrice du Art Design Lab et Vincent Labaume, critique d’art, le projet, initié et soutenu par l’industriel mécène et propriétaire des locaux Richard Choukroun, poursuit une expérience de programmation et de résidence originale et dynamique en accueillant dans ses espaces des artistes, plutôt jeunes, en provenance du monde entier. Jakmousse +-, comme son nom ne l’indique pas forcément, est une entreprise spécialisée dans l’import d’élastiques en caoutchouc naturel, matériau que les fondateurs ont souhaité privilégier dans la production des œuvres des artistes invités. L’association, qui a récemment fêté ses trois ans d’existence, organise régulièrement de grands raouts qui réunissent une cinquantaine d’artistes dans la totalité des espaces du site, occasion d’interviewer Camille de Bayser.
02 Comment avez-vous atterri dans ce lieu plus que spacieux que sont les usines Jackmousse ? Si j’ai bien compris l’usine est encore en activité, comment concilier une activité industrielle et une programmation artistique sur le même site ?
Camille de Bayser C’est par une rencontre, celle de Richard Choukroun propriétaire des lieux que tout a commencé. Galeriste depuis quinze ans (Galerie Sycomore Art, White Project, Wild Projects) et directrice de projets artistiques en France ou à l’international (Brésil, Italie, Liban), j’ai toujours eu envie d’un lieu hors-norme pour accompagner la production et le travail d’artistes et dans cette usine il restait beaucoup de vieux stocks inutilisés de caoutchouc : l’idée vient de là. Les propriétés du latex m’intriguaient et ses qualités d’élasticité me paraissaient être un nouveau terrain de jeu avec une ligne directrice potentiellement riche. J’ai partagé cette idée à Karine et Vincent et nous nous sommes lancés à quatre cette aventure ! Notre activité s’organise au cœur de ses 3 000 m2 avec des présentations au beau milieu des ateliers de découpe, de façonnage et du stock.
Jakmousse +- est un lieu dédié à la recherche et aux pratiques artistiques contemporaines, en lien étroit avec l’outil industriel. Nous collaborons avec des chercheurs et des industriels, principalement des caoutchoutiers. Nous possédons un show-room permanent et trois ateliers que nous mettons à dispositions des artistes pour une durée de six mois. C’est un véritable laboratoire artistique ouvert sur rendez-vous. Par ailleurs Relations en tension est le grand rendez-vous annuel où nous nous déployons sur l’ensemble des lieux.
02 Qu’est-ce qui fait la spécificité de Jakmousse+-, qu’est-ce qui le différencie des autres expériences du même type qui se multiplient un peu partout en France et en Europe ?
CDB Notre ligne directrice ! Un parti pris fort, cohérent, qui pousse les artistes à investir des domaines créatifs vers lesquels ils ne se dirigeraient pas d’emblée. Les plasticiens, designers, architectes, chorégraphes, musiciens, chercheurs et poètes sélectionnés, sont en prise directe avec le monde de la production industrielle, non seulement celle du caoutchouc, mais aussi celle des industries partenaires de son activité et des secteurs liés à ses usages.
La possibilité d’occuper un atelier gratuitement pendant six mois est une opportunité exceptionnelle ! Se déployer sur un lieu d’exposition de 3000 m2 l’est tout autant. Enfin, les résidents peuvent bénéficier d’un réseau national et international qui associe l’art et le design contemporains.
02 Comment fonctionne la structure, comment choisissez-vous les artistes, avez-vous créé un comité de sélection ? Réunissez-vous un jury de professionnel ou bien est-ce le trio fondateur qui décide des invitations ?
Nous organisons deux appels à candidature par an. Nous constituons à nous quatre le comité de sélection. Nos parcours respectifs, très diversifiés, nous aident à choisir chaque année les six lauréats, aux profils également très divers, confirmées ou émergents : Lou Parisot, Emmanuel Lesgourgues, Théo Ghiglia, Damien Caccia, Liv Schulman, Jules Dumoulin, Aurélie Galois, Clarisse Aîn ont été les résidents des trois premières sessions. Plus de cent artistes et/ou designers ont participé aux occurrences annuelles de l’exposition Relations en tension. (#1 : Propositions élastiques, #2 : Le retour du Fiasco, #3 : Cataoutchouc)
02 Dans la dernière exposition qui porte le nom valise « CATAOUTCHOUC » il est fait allusion à une « catastrophe amortie », comme l’écrit Vincent Labaume, de manière plutôt poétique, et au matériau qui est censé être au cœur de la production des œuvres présentées : ne pensez-vous pas que cette contrainte ne bride l’inventivité des artistes et ne l’oriente un peu trop ?
CDB Au contraire : en imposant la notion d’élasticité et en suggérant le latex comme matière première, nous donnons libre cours à l’imaginaire des artistes en leur laissant la possibilité d’explorer de nouveaux domaines. Le caoutchouc est une matière mythique. La fascination qu’il exerce tient à ses propriétés exceptionnelles. De tous les matériaux actuels, il est assurément le plus apte à revêtir les formes les plus inattendues. Il présente une propriété unique dont ne bénéficient pas les autres matières naturelles : l’élasticité. Il paraît échapper au temps et à l’espace. Au temps, parce que son élasticité, le rendant impossible à briser même dans les chutes les plus violentes, semble le faire échapper au sort des objets d’ici-bas. À l’espace, parce qu’il triche avec la principale loi qui régit les autres solides, celle de la pesanteur. Jeté au sol, il rebondit, comme soulevé d’une force magique, presque jusqu’au point d’où il est parti. L’ensemble de ces traits fait du caoutchouc un matériau à part, aux vertus exceptionnelles.
Voilà pourquoi ce choix me paraît singulier et très ouvert !
Connaissant le désir des artistes et des designers de toujours vouloir surprendre son public, je ne doute absolument pas de l’intérêt qu’il peut susciter à leurs yeux. Nous avons jusqu’à aujourd’hui permis la création de 300 nouvelles pièces et en avons exposé autant.
02 Quels sont les futurs projets de l’association et ses prochains rendez-vous ?
CDB Nous cherchons à poursuivre notre action en direction des artistes et des designers en ouvrant des ateliers chez des industriels œuvrant dans ce même domaine, celui du caoutchouc. Nous souhaiterions développer notre projet en offrant des résidences en France, en Thaïlande ou au Brésil, au cœur d’une usine de caoutchouc.
Nous préparons pour fin avril 2025 la session 4 de Relations en tension. L’appel aux nouvelles candidatures démarrera en octobre 2024.
Nous sommes ouverts à toute proposition qui nous permettrait de faire vivre un concept qui soutient la créativité des artistes et la promotion de leurs créations.
Jakmousse +- 124 rue de Rosny 93100 Montreuil
contact@jakmousse.org
www.jakmousse.org
https://www.instagram.com/jakmousse
www.wildprojects.fr
Head image : Table Designers
ROWIN ATELIER STUDIO BRICHET ZIEGLER
Courtesy THE ART DESIGN LAB.
- Publié dans le numéro : 108
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- Du même auteur : 9ᵉ Biennale d'Anglet, Biennale de Lyon, The Infinite Woman à la fondation Carmignac, Anozero' 24, Biennale de Coimbra, Signes et objets. Pop art de la Collection Guggenheim au Musée Guggenheim, Bilbao,
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