Jochen Lempert
Predicted Autumn
Musée d’art contemporain de Rochechouart
12.10 – 16.12.2018
par Barbara Sirieix
Le 12 octobre, quand l’exposition a commencé, on se croyait en plein été. Il faisait 27°C en Haute-Vienne et à Paris. Pourtant l’équinoxe était déjà passé. Les jours avaient rétréci et le soir la lumière était plus rouge qu’avant : l’automne prédit.
« Predicted Autumn » s’inscrit dans la continuité de « Sudden Spring », une exposition monographique de Jochen Lempert qui s’est déroulée du 15 juin au 21 octobre à Umea au Nord de la Suède : une saison sans nuit près du cercle arctique. « Printemps soudain » comme les premiers signes du renouveau de la nature dans un paysage encore glacé. À Rochechouart, l’automne est presque invisible dans le paysage ; la scénographie du musée invite le spectateur à se tourner vers lui. En diminuant les ébrasements des fenêtres, les architectes ont créé des sortes d’alcôves où le spectateur peut s’isoler pour admirer la vallée. Dans le travail de Jochen Lempert, la représentation de la nature ne concerne pas que les sujets de ses photographies ; l’augure saturnien du titre trace une forme dans le paysage en amont de l’exposition. Des rapports poreux peuvent se créer avec tout ce que l’on voit : avec les fresques de la salle de chasse et même avec celles des travaux d’Hercule, avec le fonds photographique de Raoul Hausmann et la forêt guyanaise de Mathieu Kleyebe Abonnenc au dernier étage.
Les titres des photographies de Jochen Lempert figurent souvent leurs sujets (Untitled (Spider Web), 2015 ; Untitled (Cat), 2017) ou un indice est parfois ajouté documentant l’expérience réalisée : Sudden Spring, 2018 (Une feuille de printemps fraîche utilisée comme négatif dans l’agrandisseur) ; Untitled (Predicted Autumn), 2018 (Une feuille d’automne du même arbre utilisée comme négatif dans l’agrandisseur). Sa pratique de la photographie a conservé une dimension expérimentale issue de ses études de biologie. Dans ce cadre, il s’est mis à utiliser la photographie en autodidacte comme outil documentaire. Ses activités de biologiste l’ont occupé jusqu’à récemment ; il a observé et cartographié la flore et la faune pour des instituts de recherche. La technique argentique lui permet d’expérimenter avec la lumière et les matières photosensibles comme dans la série Glowworm (2010) où il a capturé le mouvement d’une luciole sur une pellicule de film. Elle introduit l’exposition de Rochechouart.
Lempert développe et agrandit lui-même ses images sur papier gélatino-argentique ; elles sont généralement présentées non encadrées, comme mises en page sur les murs blancs de la galerie. Leur durée de vie ne se limite pas à une exposition ou à un certain nombre de tirages : elles réapparaissent au fil des expositions avec d’autres formats dans de nouveaux assemblages. De 1979 à 1990, il a collaboré avec Schmelzdahin, un collectif de cinéma expérimental qui a notamment travaillé avec la décomposition de bactéries et des procédés chimiques sur des bandes de film. Le collectif ne souhaitait pas représenter la nature mais rendre visible les processus de création de celle-ci, c’est pourquoi il n’utilisait pas le film de manière traditionnelle.
Il voudrait peut-être mieux parler de montage que d’assemblage pour parler de la structure de l’exposition. Jochen Lempert a fait venir plusieurs centaines de tirages à Rochechouart et, à partir de là, il a sélectionné un nombre plus restreint d’images qui forment des séquences dans chacune des salles, desservies par un très long couloir, blanc et étroit. Chaque séquence a son autonomie comme une idée obstinée. On pourrait penser, en jetant un coup d’œil rapide, qu’elles sont thématiques (flore, faune, éléments, humains…), or les images de Lempert ont plutôt inversement tendance à mettre à mal classifications et hiérarchie : ni l’art ni la science ne sont aliénés l’un par l’autre.
Belladonna (2013), présentée dans la première salle, révèle un indice expérimental dans le plan d’exposition : « tentative de photographier une projection non anthropocentrique ». L’expérience, pour Jochen Lempert, est également un exercice de pensée critique où l’on peut considérer notre rapport hégémonique avec le(s) sujet(s) et tenter de le déconstruire. On peut l’envisager comme une manière de situer des savoirs : l’anthropocentrisme fut l’approche philosophique des sciences dominante jusqu’au XXe siècle en Occident d’où ont découlé une grande variété de formes de domination. Dans la salle suivante, l’artiste présente des tirages d’animaux, peu nombreux et assez frontaux ; deux d’entre eux sont des paréidolies dans le feuillage où l’on croit voir un bovin et un paysage. Lempert parle également de projection, ce qui décrit bien l’idée de ce que représente un sujet du point de vue des humains. Dans une des dernières salles de l’exposition, l’artiste a placé une autre image dont le titre est très signifiant : Untitled (Anthropocene) (2014) représentant une empreinte de pied humide sur un rocher. Il ne s’agit pas d’un manifeste. La fragilité de ce qui est donné laisse la place à une grande ambiguïté. L’anthropocène est présentée comme une réalité.
Les dernières salles, plus éparses et plus contrastées, sont ponctuées de références à l’histoire de l’art comme une suite de projections : on y aperçoit un singe endormi gracieux comme dans une peinture classique ou une corneille posée sur un catalogue de Fontana. Le sourire d’un enfant fait la taille d’un timbre. Lempert a installé des dispositifs de vitrines « comme au musée » pour présenter quelques expérimentations photographiques en cours. Dans l’une d’elle, les pieds du Saint Sébastien d’Antonello da Messina sont mis en perspective avec différentes formes de troncs d’arbres comme une page de l’Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg.
Image en une : Jochen Lempert, Belladonna, 2013. 2 tirages / parts. ©Jochen Lempert ; musée d’art contemporain de la Haute-Vienne, château de Rochechouart. Courtesy Jochen Lempert ; galerie ProjecteSD, Barcelone. Photo : Aurélien Mole.
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