r e v i e w s

Journal d’un travailleur métèque du futur

par Alexandrine Dhainaut

Frac des Pays de la Loire*, Carquefou, 19.11.2016 – 29.01.2017

Concoctée par Dorothée Dupuis, la plus mexicaine des commissaires françaises, dans le cadre des xxxe Ateliers internationaux du Frac des Pays de la Loire, « Journal d’un travailleur métèque du futur » déploie les univers plastiques divers – sculpture, installation, vidéo, performance – de cinq artistes latino-américains, Adriana Minoliti, Ximena Garrido-Lecca, Fernando Palma Rodriguez et Gala Porras-Kim et de Julien Creuzet, artiste français d’origine caribéenne. Sous la figure totémique du coyote qui surplombe l’accueil et la salle d’exposition principale du Frac, les travaux rassemblés ici dialoguent, littéralement ou plus symboliquement, sur des thématiques communes. Historiques d’abord, chez Julien Creuzet, dont les œuvres-réceptacles de performances hebdomadaires traitent du métissage des cultures, de colonialisme, à partir de faits historiques : les conquêtes de l’Amérique par les Européens et les échanges commerciaux entre les deux continents. L’artiste évoque ainsi l’incidence de l’importation d’une agriculture, d’un biotope, sur l’environnement de l’autre, par une série de peintures abstraites, réalisées par frottements de ceps de vigne sur des aplats de bouillie bordelaise, fongicide protégeant du mildiou (qui aurait été ramené du continent américain en Europe). Accompagnée d’écrans faisant défiler des textes poétiques ou des dessins de coiffes amérindiennes, et de récipients contenant riz et sucre, sa série de sculptures suspendues et informes dessine des lignes épaisses de plastique, figeant les pages d’un livre en référence aux Incas dont la civilisation fut anéantie par les conquistadors espagnols (qui ont décimé ce peuple par leurs armes et leurs maladies). De domination et de mémoire d’une culture, d’une langue face à l’uniformisation, il est aussi question chez Fernando Palma Rodriguez. L’installation sonore et visuelle qui prend la forme de salle des pendus est composée de vêtements récoltés par l’artiste auprès de personnels associatifs luttant contre la pollution de l’eau et évoque les ravages que cette dernière subit de part et d’autre du globe par une urbanisation toujours plus grande. Ces mêmes vêtements deviennent supports de motifs dessinés de la culture nahuatl – descendante des Aztèques – dont l’artiste est issu et qu’il défend ardemment. Ses sculptures anthropomorphiques monumentales et animées, à tête de coyote, animal d’Amérique du Nord dont le nom en français est un emprunt direct du nahuatl (langue indigène la plus parlée au Mexique), réinjectent du symbolisme dans la technologie. Ingénieur de formation, Palma Rodriguez modernise ici le nahual – être mythologique mi-homme, mi-animal – en usant autant de composants mécaniques que d’éléments naturels tels que les cheveux ou les plumes. Ces cyborg-coyotes trouvent un écho presque direct avec une gigantesque structure signée Ximena Garrido-Lecca imitant le tressage d’un filet de pêche en fil de cuivre, métal conducteur dont la connexion finale se fait dans un pot de terre, mais plus encore avec l’installation vidéo de cette même artiste. Composée de cinq écrans de télévision, l’œuvre met en parallèle technologie de pointe et outil scientifique en filmant les arcanes de l’Observatoire royal de Belgique et des rites païens d’observation du ciel. Car la science a beau baliser la moindre parcelle d’atome, un autre accès à l’univers est perpétué par les rites et les croyances qui représentent une valeur culturelle indéniable. La question de la valeur est d’ailleurs au cœur de l’installation de Gala Porras-Kim qui rejoue, dans une série de sculptures remarquables en terre noire super manga, la reconstitution muséographique d’un objet à partir d’un fragment de vestiges, ici sans datation et qualité apparente (ils ont été trouvés dans une benne lors d’une résidence à Marseille), dont elle interroge la notion de propriété. Ces vestiges d’un passé indéterminé font face à l’imaginaire SF-pop d’Adriana Minoliti. Avec un humour caustique, ses œuvres mettent en scène un monde forcément futuriste (on est encore très loin de l’égalité dans le domaine) qui abolirait les représentations sexuées pour aboutir à une gent humaine réduite à des formes géométriques élémentaires (rond, triangle et rectangle). Inversant l’anthropocentrisme qui régit notre vision du monde, les animaux deviennent les observateurs décalés de scènes quotidiennes qui se passent entre le salon et la salle de bain d’une maison de poupée, de nouveaux êtres, mutiques et manchots (l’humain idéal de demain ?). Dans la même veine abolitionniste des genres, ses impressions sur bâche déploient une galerie de portraits dans des couleurs acides sur fonds pastels, de couples aux formes surréalistes indifférenciées, placés devant des décors de série B un poil kitsch, dignes des premières années de Star Trek. Si les travaux d’Adriana Minoliti dénotent dans une scénographie globale un peu plate et répétitive il faut bien le dire, ils n’en restent pas moins liés à la question de la domination d’un modèle sur un autre qui traverse toute l’exposition.

Par leur évocation du passé, colonial entre autre, leur vision utopiste d’une société plus égalitaire, moins clivante entre les sexes, entre savoir et croyance, les œuvres de « Journal d’un travailleur métèque du futur » sont des outils de réflexion sur des problématiques culturelles, économiques, environnementales et sociétales, totalement universelles, que l’on se trouve à l’est ou à l’ouest.

* XXXe Ateliers Internationaux du Frac, commissaire : Dorothée Dupuis. Avec : Julien Creuzet, Adriana Minoliti, Ximena Garrido-Lecca, Fernando Palma Rodriguez, Gala Porras Kim.

 


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