Katinka Bock à la Fondation Pernod Ricard
Katinka Bock, Der Sonnenstich
Fondation d’entreprise Pernod Ricard
14.02.23 – 29.04.23
Inattendue,« Der Sonnenstich » dévoile la pratique photographique de Katinka Bock, que seul·es ses proches et ami·es pouvaient connaître jusqu’alors, si l’artiste leur avait offert un exemplaire du journal One of Hundred,autoédité depuis 2013 et composé de ses tirages. Le public ainsi mis dans la confidence de cette pratique photographique « périphérique » n’est pour autant pas dépaysé, car le traitement des images et le geste photographique sont infiniment proches du travail de sculpture de l’artiste. S’opère alors une double révélation, celle de la photographie mais également celle de la sculpture, revisitée sous un jour nouveau grâce à son interdépendance avec les images. Dans une rapidité d’exécution, la photographie saisit au vol des instants du réel, souvent spontanés, quelques fois mis en scène. Ici, du noir profond de la nuit sur l’Etna jaillissent des gerbes volcaniques ; là, des doigts sont suspendus au-dessus d’une partie de billes antiques.
Peu importe la matière originelle des sujets des photographies, ils sont des formes dont l’œil a voulu capturer le volume, et dont la pellicule conserve les contours, au gré de courbes, d’angles et de lignes, desquels surgissent des ombres et des reflets. Une partie du corps ou une tasse de café se retrouvent désubstantialisées et immortalisées pour les silhouettes et les reliefs de leur enveloppe respective.
S’épanouissant aux alentours de la sculpture, la pratique photographique de l’artiste échappe aux codes parfois classicistes du genre et assume son imperfection avec fraîcheur et délicatesse. Parfois, certaines parties des images sont floues. Parfois encore, la couleur est accidentelle, et dépendante des pellicules laissées dans son Pentax K2 35mm des années 1970. Katinka Bock fait exister des figures humaines à rebours du portrait, dans des cadrages décadrés, sur l’arrière chevelu des têtes de ses modèles, ou sur une bouche plus grimaçante que souriante. Si elle photographie majoritairement ses proches, l’artiste ne produit pas pour autant de clichés autobiographiques et intimes. Les regards directs sont toujours absents ou bien filtrés par d’autres objets, comme une rappe ou des ongles de biche antique. L’identité de ses sujets importe moins que le paysage accidenté qu’offrent leur cou ou leur dos.
Les figures humaines peuplent ses clichés au même titre que des motifs récurrents, qui font écho à sa sculpture, et qui tissent un réseau de correspondances polyphoniques entre les images. Avec sa sensibilité, Katinka Bock investit la nature morte, qu’elle traite aussi bien avec des éléments naturels, comme les citrons ou les pêches, qu’en y attachant des objets courants et usuels, comme les aspirateurs ou les radiateurs. Sa photographie fait des allers-retours successifs entre l’intemporalité des formes inanimées et figées, et le passage du temps et ses marques d’usure. Un ballon de foot est capturé sous différents angles par l’appareil, sans souci pour son histoire d’objet et son contexte, flottant éternellement ainsi au-dessus du réel, mais sublimé pour les textures et les traces que sa surface présente. L’artiste joue avec cette donnée temporelle, soit pour fixer la fugacité d’une trace d’herbe sur un mollet, soit pour, au contraire, alléger, par des des mises en scène improvisées, le poids du temps d’artefacts antiques, empruntés au galeriste et archéologue Jean-David Cahn.
L’oscillation temporelle alimente aussi un état psychique que cherche à atteindre l’image, flirtant avec le liminal ou l’hallucination, et que traduit le titre de l’exposition.« Sonnenstich », emprunté à un récit écrit par son grand-père, signifie en français « insolation », mais pourrait aussi littéralement être lu comme « pique du soleil ». Ébloui ou aveuglé, le regard perd ses repères et l’esprit s’embrouille dans ses perceptions. La scénographie pensée par l’artiste spécifiquement pour les espaces de la fondation amplifie ce tourbillon. Des cimaises suspendues, d’un côté tendues de vert-de-gris – couleur du bronze altéré par les éléments naturels ; de l’autre recouvertes d’aluminium réfléchissant la lumière, donnent à l’exposition une allure de valse d’images, où celles-ci se croisent et se recroisent. Les formes se répètent : des oreilles ici, ici et encore ici. L’accrochage est sculptural jusqu’au bout, de la rotation des cadres jusqu’aux détails en céramique dispersés en marge des cimaises.
L’artiste présente certaines images à l’envers, comme ces cheveux démêlés, sans néanmoins leur nuire. En effet, les images ne sous-tendent aucune narration, et leur matérialité les affranchit d’une lecture qui devrait être porteuse d’une signification déterminée et déterminante. Elles peuvent être tournées et retournées à l’envi, selon une composition purement plastique et extrinsèquement esthétique. Enfin, c’est à la sculpture d’exister, pour cette fois, en périphérie de la photographie, par ces fragments sporadiques de céramique verts, dont les brisures et les assemblages soulignent avec subtilité les spécificités de l’espace et ponctuent les liaisons qu’entretiennent entre elles les images.
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Head image : Katinka Bock, Der Sonnenstich, vue d’exposition, Fondation d’entreprise Pernod Ricard, 2023. Crédit photo : Aurélien Mole
- Publié dans le numéro : 104
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- Du même auteur : Moffat Takadiwa, Stanislas Paruzel à 40mcube, EuroFabrique en Roumanie, June Crespo, Mathilde Rosier et Ana Vaz au CRAC Altkirch, Anne Laure Sacriste,
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