r e v i e w s

Le Mont Analogue

par Sandra Barré

FRAC Champagne-Ardenne, Reims, jusqu’au 23.12.2021

Le FRAC Champagne-Ardenne propose cet automne une illustration du roman de René Daumal, Le Mont Analogue. Permettant tout autant la valorisation des collections du lieu, que la création de travaux inédits, plus de quarante artistes discutent de cette œuvre littéraire portée par la légende d’une conquête.

Le Mont Analogue, commencé en 1939 et resté inachevé à la mort de l’auteur en 1944, raconte l’histoire fantastique d’un homme, le narrateur, persuadé que le Mont Analogue existe. On raconte qu’il peut être vu à la seule condition d’y croire. Lui y croit. Il regroupe une petite équipe et, ensemble, ils et elles partent à sa découverte. Commence alors une fable qui inspirera plusieurs générations d’artistes, répertorié·e·s il y a quelque temps par le journaliste Aureliano Tonet dans les colonnes du Monde. L’exposition éponyme nous propose d’éprouver ces ramifications.

Commence l’ascension artistique, mise en images et en sons, du roman. La première salle prépare la marche. En montagne, il faut s’équiper : Raymond Hains prête ses valises remplies de livres (On devrait toujours voyager/toujours vouloir aller ailleurs, 1987, et Étagères, 1998) ; Jimmie Durham et Bibi Manavi fournissent le bâton sur lequel s’appuyer ; Nancy Graves, David Renaud, Manon Harrois, Laura Lamiel et Guillaume Constantin dessinent des cartes imaginaires à suivre les yeux grands ouverts et Gaëlle Choisne propose Quelques vivres pour l’au-delà (2018).

Karine Rougier, Histoire des hommes creux et de la rose amère, huile sur bois, 30x30cm, 2021 ©Karine Rougier

Spectateurs·rices outillé·e·s, la poésie s’étoffe. S’ensuit une plongée dans l’inconnu dont les salles vont cadencer la marche. Parmi les œuvres proposées, notons les inscriptions de Charles Lopez, Coordonnées de l’inaccessible (2007), impression des coordonnées géographiques de deux îles sur lesquelles il est impossible d’accoster. Appartenant à l’archipel de Tristan de Cuhan, dans l’Atlantique Sud pour l’une et à celui de Ross en Antarctique, pour l’autre, toutes deux nées de l’émergence d’un volcan, leur inaccessibilité ne leur permettrait presque d’exister que par la pensée. L’œuvre de Béatrice Balcou fait également jeu d’imagination. Sur une tablette est couchée une fiole en verre. Elle renferme de la poussière de bois de Saint John Placebo, sculpture du XVIe siècle copiée par l’artiste. À ses côtés, un cadre trace, avec la même essence de bois – du sapin –, la silhouette de la statue manquante. Elle interroge les vestiges de ce qui existe ou non et les histoires qui en émergent. L’œuvre raconte combien la narration de l’histoire de l’art peut parfois prendre des airs de contes.

Plus loin, dans l’escalier, Quentin Derouet, écrase une rose à même le mur. Libérant le jus coloré que ses pétales renferment, il trace, essore, presse la fleur pour dessiner une calligraphie instinctive, presque primitive. Encore un geste d’amour rappelle ici la « Rose-Amère » de Daumal qui, ingérée permet de discerner la vérité du mensonge. Ce passage par le végétal, placé ici dans l’ascension, fait guide. Il annonce l’ouverture à la croyance, à la mystique, au sacré.

Dans les salles du haut, les œuvres lient magie et onirisme à l’essence même de la marche. Les peintures méticuleuses, délicates, mais aussi dérangeantes de Karine Rougier ouvrent l’imaginaire tout autant que les photographies troublantes de Stéphanie Solinas. Cette dernière, marche dans les pas de l’explorateur polaire Jean-Baptiste Charcot et fait s’embrasser le réel et l’irréel. Les œuvres de Kapwani Kiwanga et d’Otobong Nkanga reviennent, elles, sur la matérialité de la pierre que l’on foule. La première l’envisage comme image du déplacement en faisant référence aux glissements des plaques tectoniques qui se chevauchent sans mal, a contrario des flux de populations qui coincent et crissent. Otobong Nkanga, quant à elle, par l’installation polysensorielle Taste of Stone (2010), où le toucher et l’ouïe sont convoqués, illustre combien les pierres sont chargées d’histoires intimes et personnelles. Pour finir ce non exhaustif tour, le Soundwalk Collective, en collaboration avec Patti Smith, par l’entremise d’une vidéo hypnotisante, où des superpositions de plans filmés dans les montagnes de l’Himalaya, en Inde et au Népal, renvoie à la transe que la marche bien souvent provoque.

Cette exposition scrupuleusement paritaire – les commissaires Boris Bergmann et Marie Griffay insistent sur ce fait – renvoie aux pluralités d’interprétations qu’offre ce roman, et particulièrement aux multiples expériences que peut véhiculer l’ascension : pourquoi vouloir monter ?

Image en une : Stéphanie Solinas, Monts Analogues#04, photographie, ®Stephanie Solinas


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