r e v i e w s

Leigh Ledare, et al.

par Benoit Lamy de la Chapelle

De prime abord, l’œuvre de Leigh Ledare peut choquer, déranger, voire exaspérer, tant l’étalage sans ambages de vie privée congestionne la sphère publique contemporaine. Le vérisme de son approche n’est d’ailleurs pas sans rappeler le Tulsa de Larry Clark (dont l’artiste fut l’assistant), les photographies de Nan Goldin ou de Richard Kern. Malgré ce rendu formel pour le moins abrupt et radical, le travail de ce jeune américain s’appuie sur une solide assise conceptuelle et notamment une réflexion approfondie sur l’importance du rôle des images, qui le rapproche peut-être davantage de la photographie conceptuelle d’un Christopher Williams que de ses pairs. Parce qu’il « considère l’image comme simple surface de l’œuvre »1, Ledare dépasse le stade du constat pour exhiber les structures de l’intimité existantes au cœur et autour des situations représentées, ce que s’attache à montrer avec justesse la rétrospective du Wiels.

En optant pour une configuration non-chronologique, l’exposition dévoile un aspect fondamental de sa pratique. Au centre du parcours, la série Pretend you’re actually alive (2002-2008) – portraiturant principalement la mère de Leigh Ledare dans des positions impudentes, chez elle, seule ou avec l’artiste, durant ses relations sexuelles, etc. – s’avère être la matrice de sa pratique, à partir de laquelle rayonnent les ensembles suivants. Ainsi de Personal Commissions (2008), inspirée des petites annonces suggestives envoyées par sa mère au Seattle Weekly. Ici, Ledare répond à des messages similaires laissés par des inconnues, leur demande de le déguiser (ou de le dévêtir) et de le prendre en photo, chaque image ayant pour titre l’annonce trouvée. Cette série investit la question du contrat – souvent à l’origine de sa démarche – et rappelle un principe qui régit la plupart de nos rapports sociaux. En inversant le rapport modèle / photographe, l’artiste devient l’objet du désir, une situation que l’on retrouve dans Collector’s Commission (2008), où il demande à des collectionneurs de le photographier à proximité d’une de leurs œuvres, mettant en exergue le travers fétichiste de la possession. Les relations de pouvoir qui sous-tendent ces situations sont volontairement ambiguës. La triangulation photographe / modèle / spectateur à l’œuvre dans les images de Ledare ne désigne ni coupable ni victime mais plutôt une complicité socialement et économiquement concertée. D’une série à l’autre, la limite entre moral et immoral s’estompe et toute vision manichéenne vole en éclats.

Créateur d’images au sein d’un monde qui en est saturé, Ledare exploite à rebours la célèbre maxime de Douglas Huebler, « le monde est rempli d’objets plus ou moins intéressants ; je ne souhaite pas en rajouter ».2 En atteste l’installation Double Bind (2010), qui réunit les photographies de son ex-épouse amalgamées à une pléthore d’images tirées de magazines en tout genre. Une manière pour l’artiste de souligner à quel point les images personnelles peuvent perdre leur charge émotionnelle une fois happées par les circuits de diffusion publique.

L’exposition semble ainsi s’attacher à révéler ce que l’œuvre de Leigh Ledare recèle en filigrane, tout en laissant planer un léger doute quant à la véracité des faits, que seules les explications textuelles de l’artiste et les images viennent soutenir. Pouvons-nous croire aux images ? Et si tout cela n’était qu’invention ? D’après la vidéo Shoulder (2008), située à la fin du parcours, il semble néanmoins que tenter de distinguer le vrai du faux soit ici hors de propos. Alors que l’artiste demande à sa mère de pleurer devant la caméra pour simuler ce qui s’apparente à une consolation, le ton change soudainement et la fiction bascule vers un moment d’une incontestable vérité : le chagrin devient sincère et le fils, saisi d’empathie, réconforte spontanément sa mère. Une illustration parfaite de la démarche de l’artiste, qui considère « qu’un portrait n’est jamais authentique mais toujours performé, qu’une image ne résulte pas du travail d’un auteur, mais plutôt de jeux de manipulations, de coercitions et de relations de pouvoir, pouvant avoir lieu jusqu’au cœur des structures familiales ».3 

1 « David Joselit and Leigh Ledare. An interview », in Leigh Ledare, et al., éditions WIELS, Bruxelles et Mousse, Milan, 2012, p. 93.

2 Theories and documents of contemporary art: a sourcebook of artists’ writings, textes choisis par Kristine Stiles et Peter Selz, Berkeley (Calif.) Los Angeles (Calif.) Londres, University of California Press, 1996, p. 840.

3« David Joselit and Leigh Ledare. An interview », op. cit. p. 40.

Commissariat : Elena Filipovic



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