Lisa Yuskavage à la galerie Zwirner
Lisa Yuskavage
David Zwirner : Paris
9 juin-29 juillet
Rendez-vous
Titre fréquent en littérature et au cinéma pour qui se souvient des œuvres de Maupassant,Tourgueniev ou plus récemment de celles de Christine Angot et d’ André Téchiné, Rendez-vous est l’agréable injonction qu’utilise la peintre Lisa Yuskavage pour sa première exposition à Paris.
A la galerie David Zwirner, l’artiste new-yorkaise réunit les conditions de jour, d’heure et de lieu de ce qui constituent une rencontre au sens propre mais aussi au sens virtuel puisque chacune des quatre grandes toiles qui occupent les cimaises de l’espace principal représente un des ateliers possibles de la peintre. Golden Studio, The Artist’s Studio,Big Flesh Studio, ou encore Rendez-vous, sont alors des sortes de méta-univers structurés et ouverts dans lequel le regard du visiteur peut s’engouffrer, voyager et méditer tout à loisir.
La veille de l’ouverture du show, lors de sa conférence aux Beaux-Arts de Paris, Lisa Yuskavage fut très claire : son exposition parisienne est en référence directe avec la peinture de Matisse L’atelier rouge. Une toile extraordinairement célèbre réalisée en 1911, brossée rapidement et recouverte aux deux tiers d’un rouge vénitien qui représente l’intérieur de l’atelier construit sur mesure à coté de la maison familiale en 1909. L’œuvre est si fameuse qu’elle a fait l’objet d’une exposition scientifique à l’été 2022 au MOMA où les conservateurs se sont efforcés de réunir les peintures et objets que l’on peut voir reproduits sur la toile. A ce sujet, Matisse rappelle dans un entretien avec une autre peintre qu »un artiste… ne doit pas copier les murs, ou les objets sur la table, mais il doit surtout exprimer une vision de la couleur, dont l’harmonie correspond à son sentiment ».
Cette manière de voir, de penser mais surtout d’imaginer en couleur, c’est ce que Lisa Yusakavage poursuit depuis toujours tout en produisant un écart supplémentaire : « Les choses que Matisse peint et transpose dans sa toile sont dans son atelier, il les voit. Pour ma part, ce que je peins n’existe jamais dans cet espace au même moment et au même endroit. »
Dans l’univers de Lisa Yuskavage, chaque atelier n’est qu’une possibilité parmi d’autres. il est un rassemblement imaginaire de différentes présences, humaines ou objets. Des possibles que l’artiste, qui comme Matisse pense en couleur, décline ici sur de grands formats dans des tons improbables, rouge cadmium, laque de garance, rose chair, vert cadmiun, jaune d’or, des couleurs saturées mais utilisées en transparence qui deviennent emblématiques de son opposition à la doxa.
Cette émancipation revendiquée, l’artiste se définit elle-même comme un caractère peu ordinaire, s’applique aussi aux formats et aux sujets. Contre toute attente, alors qu’on ne pensait voir que ses habituelles petits toiles minutieuses, visibles tout de même dans la salle annexe de la la galerie, elle décide d’exposer de grands formats sous la verrière de la salle principale. Quant aux personnages, ce sont encore ceux qui ont suscité les controverses. Elles sont des modèles largement dévêtues aux caractéristiques sexuelles exagérés dans un esprit d’extravagance que l’on pourrait volontiers associer à l’esprit « Camp » cher à Susan Sontag.
Pour Rendez-vous, on l’aura compris, Lisa Yuskavage refuse, une fois encore, de se plier aux injonctions du bon goût. En mêlant les codes de la culture de masse, ceux des calendriers de routiers et ceux de la culture savante grâce à une touche classique proche de celle de Fragonard, en donnant à ses sujets des formes plus qu’abondantes et une étrangeté irréaliste aux visages, elle intègre les regards que les femmes subissent, déjoue les rapports de domination et affirme sa singularité d’artiste.
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Head image : Installation view, Lisa Yuskavage: Rendez-vous, David Zwirner, Paris, June 9— July 29, 2023. © Lisa Yuskavage
Courtesy the artist and David Zwirner
- Publié dans le numéro : 104
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- Du même auteur : Armelle Leturcq : Nobody is a stranger., Paul Thek au MAMCO de Genève, Thu-Van Tran au MAMAC de Nice,
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